Sudbury – Toronto — Originaire de Sudbury, Andréa Roussel est la première personne transsexuelle en Ontario qui est restée gardienne de prison après son changement de sexe. Être une pionnière n’est jamais facile, ça l’est encore moins dans un milieu majoritairement masculin. Mme Roussel est maintenant l’une des figures importantes de la lutte des droits pour les personnes transsexuelles et aide ceux et celles qui passent par les mêmes épreuves qu’elle.
Mme Roussel est la première à affirmer que l’acceptation au travail a été difficile lorsqu’elle a entrepris le changement en 2007. Anxieuse de la réponse qu’aurait son milieu de travail face à sa décision, elle a fait une dépression et deux tentatives de suicide. «Il y avait eu certains incidents dans le passé, quand je me présentais comme mâle, où ils avaient ridiculisé les transsexuels.elles. Il y avait eu un agent correctionnel qui avait tué une transsexuelle. Ça jouait toujours dans ma tête.»
«En général, j’ai eu assez d’appui avec les collègues, poursuit-elle. Mais il y en avait plusieurs qui ne pouvaient pas prendre l’information. Être en leur présence me causait beaucoup d’anxiété. Il y a aussi eu des incidents où je me suis senti très blessé. Je pensais que j’étais leur amie, mais vraiment… j’ai appris de la manière la plus difficile possible que mes vrais amis sont ceux qui sont restés à côté de moi.»
Il devenait de plus en plus difficile pour Andréa de rester en poste comme agente correctionnelle. En étant l’égale des autres agents, elle ne pouvait pas demander de changement dans leur façon de traiter les personnes LGBTQ+ devant et derrière les barreaux. La solution : devenir leur supérieure.
Andréa Roussel est devenue sergente, enquêtrice pour les incidents sérieux dans une prison de Toronto. Son rang lui permet d’avoir de l’influence sur les agents correctionnels et sur la culture de travail au sein de sa prison.
Elle a aussi travaillé avec la Commission ontarienne des droits de la personne et la commissaire Barbara Hall (de 2005 à 2015) pour les droits des prisonniers transsexuels «pour qu’ils puissent avoir des services correctionnels avec dignité et que les agents ne les ridiculisent pas». Aussi à la création des normes pour le traitement des personnes LGBTQ+ lors d’arrestations.
Elle a participé à la création de la Loi Toby de 2012 sur le droit à l’absence de discrimination et de harcèlement fondés sur l’identité ou l’expression sexuelles.
«En étant la première en Ontario, il y a maintenant du support pour les autres. Ils savent que s’il y a des problèmes, ils peuvent venir me voir. [C’est un sentiment] très agréable. Je suis fière. J’ai été sélectionné pour plusieurs projets, j’ai été sur des comités et on a changé des projets de loi.» Son expérience sur le terrain lui a permis d’apporter des changements concrets et bien adaptés aux besoins. Elle a quand même dû se battre pour les obtenir.

Andréa Roussel au travail avec son chien de service, peanut.
L’évolution des mentalités
Après 32 ans dans le milieu carcéral, Andréa dit voir une grande évolution dans la façon de traiter les prisonniers.ères membres de la communauté LGBTQ+ dans la région de Toronto.
Le reste de la société a aussi changé son approche, qui est maintenant beaucoup moins restrictive.
À l’époque de sa transition, il fallait absolument obtenir une approbation du Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto pour demander une chirurgie de changement de sexe remboursée par l’assurance maladie de l’Ontario. Même les patients de Sudbury devaient faire affaire avec eux. «Maintenant, les médecins de famille peuvent faire la réquisition», dit-elle.
Plus facile à Toronto
Lorsqu’elle portait encore le prénom André, Mme Roussel a fait ses études au collège Cambrian et a immédiatement trouvé un emploi à Barrie après celles-ci. Avec le recul, elle croit qu’avoir fait la transition à Toronto, plutôt qu’à Sudbury, lui a probablement probablement facilité la tâche. Il y avait plus de services, plus d’appui psychologique en place au milieu des années 2000 à Toronto, comparativement à Sudbury.
La population y était aussi plus diversifiée. «Il y a un sentiment d’appartenance à un groupe. Tandis qu’à Sudbury, tu pouvais te sentir un peu plus isolée. Je sais que les choses ont changé maintenant. Mais dans le temps, ça aurait été très difficile.»
Si elle avait été à Sudbury pour sa transition, Andréa est certaine qu’elle aurait démissionné «et je ne sais pas ce qui serait arrivé après ça». Elle n’est pas convaincue qu’elle aurait pu se trouver un emploi aussi payant. Son salaire d’agente correctionnelle lui a permis de payer plusieurs des opérations nécessaires à la transition.

L’ombre de l’intolérance
Malgré les progrès, il y a encore beaucoup de travail à faire dans plusieurs sphères de la société. Si le pire est passé dans son milieu de travail, Andréa n’est pas à l’abri des menaces à l’extérieur de celui-ci.
L’intolérance perce même dans le quartier gai de Toronto, que l’on pourrait croire plus sécuritaire. L’ombre du tueur Bruce McArthur est encore présente. «On a eu deux incidents où des personnes ont mis des photos de Bruce McArthur sur notre porte. Ils ont même écrit sur notre porte une fois», raconte Andréa.
Puisqu’elle met ses habits de travail à la maison, plusieurs personnes savent qu’elle travaille à la prison. La sergente pense que les responsables croient qu’elle a quelque chose à voir avec la façon dont Bruce McArthur a été traité en prison. Tenue au secret professionnel, elle peut quand même dire qu’il n’y a pourtant pas eu de problème interne avec l’homme qui a plaidé coupable aux meurtres de huit hommes gais en 2019. «Cette affaire-là, c’est encore très frais dans la mémoire des membres des groupes LGBTQ+.»
Elle est plus inquiète pour la santé mentale de sa fille qui demeure avec elle que pour leur sécurité. «Parce que dans ma carrière, j’en ai eu des centaines de micromenaces. En réalité, le monde ont peur de nous faire face. Mais je ne me laisse pas faire sans me battre.»
Les impacts sur la famille
Andréa Roussel était mariée et a eu deux filles pendant qu’elle demeurait à Barrie. Sa décision de changer de sexe a mis fin à son couple, puisque son épouse ne se voyait avec une femme. «Ce n’était pas ce qu’elle avait envisagé quand on s’est mariés», dit Andréa. Mais elles sont restées proches et des amies.
Pour ses filles, Andréa est encore leur père. «On a décidé de ne pas enlever ça. Ce n’est pas juste qu’elles m’appellent leur mère quand je ne le suis pas.»
«J’ai toujours traité la transition pour que ce soit comme une aventure positive pour elles», raconte Andréa. Elle donne l’exemple de sorties au Tim Hortons où elle leur disait de surveiller l’expression des caissiers lorsqu’ils voyaient ses ongles longs avec du vernis.
Éventuellement, ses filles et leur mère sont revenues vivre dans la région de Sudbury. Vivre loin de ses filles a été très difficile pour Andréa.
La relation avec ses parents et ses beaux-parents a été plus tendue. Elle n’a pas pu parler avec certains d’entre eux pendant plusieurs années.
La relation avec ses parents avait ses hauts et ses bas. «Ils pensaient que c’était un choix et que j’étais pour vivre avec les conséquences, même si j’ai fait des tentatives de suicide.» Ils craignaient également les répercussions sur leurs propres vies, sur ce que l’on penserait d’eux. Le père d’Andréa est maintenant décédé, sa mère est toujours en vie, mais ne demeure plus dans la région. Elles se parlent régulièrement.
Des connaissances lui ont demandé pourquoi elle n’en avait pas parlé avec ses parents lorsqu’elle était jeune. «Ils m’auraient amené au sanatorium. Sachant comment ils étaient. Ils ne savaient pas ce que transsexuel voulait dire. Ma mère pensait que c’était être gai, mais ce n’est pas la même chose.»
NDLR : Andréa Roussel est le père de notre graphiste au Voyageur.