Oui. Et ça arrive plus souvent qu’on le croit.
En Ontario, les raisons d’une séparation ne sont pas prises en compte lors du règlement devant un juge d’une séparation litigieuse. On applique souvent la formule habituelle : le.la conjoint.e qui fait le plus d’argent paye une pension à l’autre qui était plus dépendant.e financièrement.
Lors de sa conception, cette loi servait à protéger les femmes qui étaient, à l’époque, majoritairement dépendantes financièrement de leur mari. Aujourd’hui, cette loi se retourne contre plusieurs femmes victimes de violence, dont plusieurs immigrantes.
Il faut bien faire la différence entre une pension pour un.e ex-conjoint.e et celle pour les enfants dans le cas d’une garde partagée. Dans la Loi sur le droit de la famille, la priorité est toujours donnée au bienêtre des enfants et, dans le cas d’une garde partagée, une victime pourrait aussi devoir donner une pension à son agresseur pour le bienêtre des enfants. Mais des cas sans enfants, où l’ex-mari est un étudiant perpétuel et la femme occupe plusieurs emplois par exemple, existent également.
Limites de la loi
Dans certains cas extrêmes, les juges peuvent avoir un certain contrôle, mais pas au point d’éliminer la pension, rapporte l’avocate Gabrielle Beaulieu. «Si une femme parvient à démontrer qu’il y a eu beaucoup de violence, peut-être que les faits vont choquer la conscience de la cour et, à la place d’ordonner une pension alimentaire dans la fourchette élevée, peut-être qu’elle va aller plus vers la fourchette la plus basse.»
Mais justement, la preuve est difficile à faire et même les policiers jouent de prudence. Si une femme accuse son conjoint de violence conjugale, elle sera presque systématiquement accusée elle aussi, parce qu’«on ne sait pas ce qui s’est produit réellement dans la maison, et personne ne le sait», explique Me Beaulieu.
Si une femme se défend contre son conjoint et que seul l’homme a des marques ou des blessures, c’est la femme qui a plus de chance d’être condamnée pour violence conjugale. Les dossiers où il y a assez de preuves ou de témoignages directs sont extrêmement rares. Alors porter plainte n’est, pour le moment, pas toujours une bonne solution.
De plus, le Centre Victoria pour femmes (CVF) souligne qu’aucune loi n’inclut la notion de violence psychologique en ce moment, ce que Me Beaulieu confirme, au meilleur de sa connaissance.
Modification à la Loi sur le divorce
Le gouvernement canadien est par contre sur le point de modifier la Loi sur le divorce par le biais du projet de loi C-78, qui entrera en vigueur cet été. «Dans les modifications, il y a un test beaucoup plus élaboré pour le meilleur intérêt de l’enfant, mais il y a aussi une très grande section sur le devoir de considérer la violence conjugale et inclut une liste de facteurs sur ce qui doit être considéré», explique Me Beaulieu.
«Dans cette liste-là, on va jusqu’au contrôle coercitif, avec la répétition, comment ça peut avoir affecté l’enfant psychologiquement, etc.» Par contre, ces nouvelles dispositions concernent seulement le bienêtre des enfants, pas celui de la mère qui a été victime des sévices physiques ou psychologiques. Donc, aucun effet sur le paiement d’une pension alimentaire ou non de la victime à son agresseur.
Pistes de transformation
Selon le CVF, le système de justice actuel désavantage énormément les femmes violentées, et ce, de multiples façons.
Entre autres, il n’y a aucun ou très peu de partage entre les instances. S’ajoute à cela l’arrêt Jordan qui peut faire cesser les procédures si l’avocat de la défense et l’accusé créent des délais, l’interdiction de faire de la sensibilisation auprès des juges, sans compter les problèmes d’accès à la justice dans leur langue pour les francophones.
«Il n’y a pas une grande motivation pour changer les choses, le patriarcat prédomine encore», avance la directrice du CVF, Gaëtane Pharand. «Il y a tellement de choses à changer qu’on ne sait pas par où commencer.»
L’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) a présenté le 10 mars le Rapport du Colloque sur le droit de la famille et la violence conjugale, tenu les 8 et 9 octobre 2019. On y retrouve 13 recommandations qui font écho à certaines lacunes rapportées par Me Gabrielle Beaulieu et le Centre Victoria.
Les deux premières recommandations demandent justement des formations obligatoires sur la violence conjugale pour les professionnels de la justice ainsi que pour les autres corps professionnels concernés — médecins, policiers, enseignants, etc.
Rappelons que le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi au début février qui met en place une formation obligatoire sur la violence sexuelle pour tous les juges fédéraux. Mais les causes de violence sont, en première instance du moins, entendues par des cours provinciales.
La troisième recommandation est sans doute la plus importante : Révision complète du système judiciaire en vue d’assurer la sécurité des femmes et des enfants. «Le processus judiciaire peut contribuer à ce que l’agresseur maintienne son emprise et son contrôle sur la femme, augmentant ainsi les difficultés qu’elle vit déjà», peut-on lire.
Les autres recommandations demandent une meilleure communication entre les intervenants et les cours de justice, un meilleur financement pour l’aide juridique, une plus grande écoute des enfants témoins, une meilleure reconnaissance des expertises existantes et de la prévention.