Situé sur les rives de la rivière Sainte-Marie, en face de l’édifice Shingwauk Hall de l’université Algoma, le Centre de découverte Anishinabek (CDA) est presque terminé. Sa construction, qui a débuté en 2017, a été financée à la hauteur de 13,5 millions $ par le Gouvernement du Canada, via le Fonds d’investissement stratégique pour les établissements postsecondaires et l’organisme FedNor.
Reprendre le contrôle
Le CDA devrait ouvrir ses portes au printemps, après de nombreux délais. Il s’inscrit dans la lignée du partenariat signé en 2006 par l’Université d’Algoma et l’Université anishinabek Shingwauk Kinoomaage Gamig (SKG).
Le directeur des services aux étudiants de cet établissement, Mitch Case, explique que le CDA vient concrétiser le rêve énoncé en 1846 par le Chef Shingwaukonse, soit de mettre en place un «wigwam pédagogique» pour son peuple. Le centre comprendra une bibliothèque nationale des chefs, un centre d’excellence en formation, des locaux d’enseignement pour les programmes d’interprétation et les programmes culturels ainsi qu’un lieu de rassemblement.

«Nous parlons ici d’un contrôle de l’éducation anichinabée par les Anichinabés. Ce contrôle s’inscrit dans un mouvement de résurgence plus large de réaffirmation de la souveraineté anichinabée, incluant non seulement le contrôle sur notre territoire, mais également notre juridiction sur le bienêtre des enfants et sur la préservation de la langue», clame Mitch Case, lui-même issu de la nation métisse.
Une vision moderne
Le Chef Shingwauk voulait offrir des outils pédagogiques pour aider les élèves anichinabés à s’épanouir dans la société moderne, sans compromettre les valeurs ou l’intégrité de leur culture, de leurs connaissances et de leurs traditions.
Aujourd’hui, l’Université Shingwauk Kinoomaage Gamig, en collaboration avec l’Université d’Algoma, propose les seuls baccalauréats en anishinaabemowin (langue ojibwée) et en études anichinabées au Canada.
L’artiste et ancien enseignant Darin Corbiere, issu de la Première Nation Wikwemikong, sur l’ile Manitoulin, voit le projet d’un bon œil. Jusqu’en 2017, il a enseigné l’anishnaabemowin à l’école secondaire White Pines de Sault-Sainte-Marie, avant de partir s’installer en Colombie-Britannique.
M. Corbiere est content de savoir que SKG aura la chance de croitre et de prendre son envol, mais il est aussi un peu inquiet. «Il y a encore du colonialisme qui s’attache au projet. Par exemple, le nom de Centre de découverte Anishinabek sonne comme un nom de musée et ne reflète pas vraiment la culture anichinabée. De plus, si on avait eu la chance de créer ce projet dans les années où Shingwauk a expliqué sa vision, on aurait pu construire une base académique pour nos archives, nos écrits. Mais comme cela ne s’est pas produit, on doit commencer à neuf. Je m’attends à ce que ce soit un peu difficile au début pour SKG, mais avec une personne forte à la tête du projet, qui est sur la même longueur d’onde que le reste de son groupe, on devrait avoir une bonne chance d’avoir le soutien dont on a besoin pour ne pas échouer», résume-t-il.
Plusieurs évènements d’ouverture prévus
Selon Ken Hernden, qui a travaillé à ce projet d’envergure à titre de directeur de recherche et développement, «SKG voulait se doter d’une institution qui serait enracinée dans l’enseignement culturel. Le désir des Premières Nations de se réapproprier l’éducation avait été clairement énoncé en 1972 dans la politique du National Indian Brotherhood Assembly of First Nation sur la souveraineté autochtone sur l’éducation», rappelle-t-il.
Mitch Case œuvre depuis 2015 à la souveraineté anichinabée, non seulement dans sa fonction de directeur des services aux étudiants, mais aussi à titre de membre autochtone actif dans l’épanouissement de cette université et, par extension, de sa communauté.
«Ça fait presque 200 ans que Shingwaukonse a parlé de sa vision pour la première fois. Depuis combien de temps cette vision est-elle volée, corrompue et transformée en quelque chose qui n’est pas ce dont il avait parlé? Depuis les années 1970, nous luttons pour réclamer nos droits», affirme-t-il avec révolte.
«Tout ce travail de réaffirmation, ce mouvement pour que les Anichinabés reprennent le contrôle de leur éducation, il se fait dans ce contexte, il est enraciné dans une croyance ferme en la souveraineté anichinabée. C’est une période vraiment excitante», nuance Mitch Case.
L’institution Shingwauk Kinoomaage Gamig compte tenir plusieurs évènements pour souligner l’ouverture du Centre de découverte Anishinabek, dont des cérémonies protocolaires spécifiques à la culture.
Durant l’été 2020, plusieurs journées portes ouvertes permettront aux curieux de venir se familiariser avec les lieux. «On veut inviter les gens à venir voir ce qu’on fait, qui l’on est, et ce qu’on prévoit faire au cours des prochaines années», propose Mitch Case.
Conçu par la firme d’architecture Two Row Architects, l’édifice en forme de maison longue arborera un toit fait d’épicéa, un élément unique du Centre de découverte Anishinabek. Le long toit en forme de dôme s’inspire du modèle des pavillons d’enseignements traditionnels des communautés anishinabées.