Au moins un Canadien sur dix croit être l’objet d’un complot à propos de la COVID-19, selon les résultats préliminaires d’une étude menée auprès de 600 personnes par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke au Québec. Comment raisonner votre parent complotiste? C’est presque impossible.
L’expérience personnelle d’Alexandre Belliveau (nom fictif à la demande de notre intervenant) en est un exemple. L’étudiant du Grand Moncton a échangé pendant presque quatre ans avec un membre de sa famille imaginant que les gouvernements étaient manipulés par un riche lobby progressiste.
«Ça a été comme le jour et la nuit à partir de 2016, se souvient le trentenaire. Il avait une grosse fascination pour Trump. Je me suis demandé ce que c’était la big deal. Mon background académique m’a amené à essayer de le comprendre. J’étais tanné de voir que tout le monde l’ignorait.»
M. Belliveau a donc effectué des recherches sur les croyances, les sources d’informations et les motivations de son parent. Il lui a posé des questions et a essayé de le comprendre. Il lui a aussi proposé des documents alternatifs.
«Il ne voulait pas les consulter, donc c’est devenu frustrant, déplore-t-il. Ce n’était pas un échange d’informations et d’idées. J’essayais de comprendre quelqu’un qui n’essayait pas de me comprendre. Je ne savais pas comment dealer avec ça. J’ai donc arrêté il y a un an. C’est difficile d’accepter que je ne puisse pas avoir de conversation fructueuse avec cette personne que je rencontre régulièrement.»
Le jeune homme remarque que toute l’énergie qu’il a déployée pour dialoguer avec son parent complotiste n’a servi qu’à raffermir les croyances de ce dernier.
«La croyance dans les théories du complot permet souvent de trouver du sens après une crise personnelle», explique le sociologue de l’Université du Nouveau-Brunswick, David Hofmann. «L’attaquer, c’est attaquer l’identité de quelqu’un. C’est très difficile, mais possible. Ça demande un grand changement dans l’environnement du croyant, un processus graduel et beaucoup de patience.»
Une méthode prometteuse
Le docteur estime que les tentatives de déradicalisation de djihadistes en Europe par exemple ont connu des résultats mitigés. Le sociologue français auteur du livre Déchéance de rationalité, Gérald Bronner juge toutefois avoir obtenu de bons résultats dans ce domaine.
«J’ai essayé de voir avec [des jeunes embrigadés] les modes de raisonnement qui pouvaient mener à des croyances. Par exemple, dans la théorie du complot, les individus confondent souvent l’idée que des évènements arrivent en même temps et le fait qu’ils soient liés par une cause», a-t-il raconté au magazine Usbek & Rica. «J’ai travaillé ce genre de choses avec eux, mais pas sur la base de théories du complot, parce que si je l’avais fait, ils auraient focalisé leur attention sur le fait que je voulais démentir ces théories.»
Le président sortant de la Société médicale du Nouveau-Brunswick, Serge Melanson, souligne l’importance de la confiance dans les autorités sanitaires pendant la pandémie de COVID-19.
«De mauvaises informations (sur les médias sociaux) peuvent mener les gens à prendre de mauvaises décisions pour eux-mêmes et pour les autres, s’alarme-t-il. En ne gardant pas leurs distances avec autrui, ils pourraient accélérer la transmission du nouveau coronavirus.»
L’urgentologue admet que ses patients sont attentifs aux consignes de santé publique. À la suite de la publication par l’Acadie Nouvelle d’un reportage portant sur une poignée de manifestants opposés au confinement, il demande toutefois au gouvernement de cibler les personnes réfractaires aux mesures sanitaires.
«Il faut leur faire comprendre les erreurs de leurs comportements, plaide-t-il. Il faut d’abord discuter avec eux. Mais s’ils persistent, il faut leur donner des amendes.»
En date du 27 avril, la GRC avait donné 77 contraventions pour les contrevenants aux règles de distanciation sociale depuis le début de l’état d’urgence au Nouveau-Brunswick. Même si M. Higgs a affirmé qu’il s’agissait d’un dernier recours, il semble être le seul efficace à court terme pour convaincre votre parent complotiste de se confiner.
Se protéger intellectuellement
«Il faut penser contre le cerveau», a affirmé le philosophe des sciences, Gaston Bachelard. L’intelligence humaine prend en effet beaucoup de raccourcis pour faciliter notre vie quotidienne : les biais cognitifs. En voici quelques-uns :
- Considérer comme vraie une information qui confirme nos croyances (biais de confirmation).
- Tenir davantage à l’opinion que nous défendons (effet boomerang).
- Donner une cohérence à des faits qui n’en ont pas (effet de dévoilement, illusion de corrélation).
- Croire une thèse défendue par beaucoup d’arguments, même s’ils sont faibles isolément (effet Fort).
- Avoir une plus grande confiance dans son expertise moins celle-ci est grande (effet Dunning-Kruger).