La rafle des années soixante, qui a enlevé à grande échelle des enfants autochtones de leur famille d’origine pour les placer en adoption dans des familles non-autochtones, sans le consentement de leurs parents, a fait des milliers de victimes au Canada, principalement dans les provinces de l’Ontario, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. L’une de ces familles, dont la mère était d’origine Anishnabe de l’île Manitouin et le père d’origine québécoise, se trouvait à Sudbury.
Randy Pagé, l’un des huits enfants raflés à cette famille, n’avait que quatre ans. «On est venu tous nous ramasser»,se souvient-il.
«Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. La maison était remplie d’agents et entourée d’un nombre d’autos qui nous ont emportés je ne sais où.»
Ce n’est qu’à l’âge de douze ans, lors d’une réunion de famille, qu’il en a appris la raison : il était autochtone. Cette rafle, permise par la modification de la Loi sur les «indiens» en 1951, permettait aux provinces de se soustraire de procurer des services aux familles autochtones, en imposant cette tâche aux familles adoptives.

Randy Pagé enfant.
«Je n’ai jamais revu mon père»
Suite à cet enlèvement, M. Pagé a d’abord été placé chez une famille de Minnow Lake à Sudbury. Il est demeuré là jusqu’à ce que le père de la famille décède. Ensuite, il a été placé dans une famille fermière à St-Charles où il a passé une partie de son enfance et une partie de mon adolescence.
En tant qu’enfant autochtone adopté, il n’était pas traité comme les enfants naturels de la famille. «J’étais très différent des autres à cause de la couleur de ma peau. Dans la famille et dans le village, on m’appelait le petit sauvage ou encore l’Indien», se rappelle-t-il.
M.Pagé avait parfois des rencontres de famille avec ses frères et sœurs. «On ne se voyait pas très souvent. J’ai été plus près de l’un de mes frères et d’une coupe de mes sœurs», affirme-t-il.
Suite à l’enlèvement, il n’a jamais revu son père qui serait déménagé dans le Sud de l’Ontario, croit-il. «J’ai toutefois eu l’occasion de revoir ma mère qui était retournée à M’Chigeeng sur l’-ile Manitoulin. Mais nous étions gênés tous les deux et on se percevait quasiment comme des étrangers».
C’est à St-Charles que Randy Pagé a eu l’occasion de rencontrer son épouse avec qui il a eu deux filles, Christine et Mélanie. Elles sont enseignantes et ont chacune deux enfants.
Christine savait que la famille de son père était autochtone depuis un assez jeune âge, soit 7 ou 8 ans. «Nous voyageons souvent à l’île Manitoulin pendant l’été. Je savais que j’avais de la parenté à M’Chigeeng. Toutefois, on ne la connaissait pas en raison de l’enlèvement de mon père et de ses frères et sœurs de ma grand-mère», témoigne-t-elle.
Elle poursuit : «Ce n’est qu’en 2015 que nous avons compris c’était quoi la Rafle des années 60 et que la famille de mon père en était victime».
C’est lors des funérailles de sa grand-mère qu’un membre de la famille a révélé comment cette rafle avait blessé sa grand-mère.
«La même année du décès de ma grand-mère, les rapports de la Commission de la vérité et de la réconciliation (CVR) ont été publiés. J’ai enfin compris comment et pourquoi notre identité autochtone fut cachée dans les ombres pendant si longtemps. Nous apprenons de la communauté en faisant de la lecture. Nous assistons au pow wow annuel. Nous faisons de notre mieux pour reprendre le temps perdu et pour pouvoir vivre cet aspect de notre identité», souligne-elle

Quant à M. Pagé, il a réussi à se placer sur le marché du travail en tant que machiniste. «J’ai travaillé quatre ans à l’INCO et ensuite 32 ans pour une entreprise minière toujours comme machiniste. J’ai pris ma retraite en 2012 lorsque le marché du nickel a connu une baisse importante».
Il s’implique dans la communauté franco-ontarienne en tant que vice-président du Club Amical du Nouveau Sudbury. S’agissant de son identité, il en est fier. «Je n’ai aucune honte de mes racines autochtones, mais j’ai aussi une identité franco-ontarienne dont je suis fier».
Au bout du compte, affirme-t-il, «ça a bien tourné pour moi».