Esprit contestataire, mon grand-père témoignerait au cours de sa vie de la lutte pour l’éducation «par, pour et avec» de la communauté franco-ontarienne, ouvrant le chemin aux francophones du Nord de l’Ontario.
Eugène allait survivre à l’odieux du Règlement 17, loi qui cherchait à éradiquer le français en interdisant l’enseignement dans cette langue en Ontario de 1912 à 1927. Au début des années 1960, près d’une décennie avant que la communauté franco-ontarienne obtienne le droit à l’éducation primaire et secondaire, il devint conseiller scolaire (probablement avec la bénédiction de La Patente, une société secrète canadienne-française fondée en Ontario dont, disait la rumeur familiale, il aurait peut-être été membre). En 1997, l’année où mon grand-père adoré s’est éteint, la communauté franco-ontarienne obtint le droit de créer des conseils scolaires de langue française.
Eugène aurait été fier que j’ai choisi de poursuivre mes études en français, du primaire aux études supérieures. Ici, en Ontario. Un parcours légitime.
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), toutefois, semble être en désaccord.
Plus tôt ce mois-ci, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), qui regroupe les 22 collèges et universités de la Francophonie canadienne, a témoigné devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Leur message était grave : l’IRCC refuse des taux élevés de candidats internationaux — surtout en provenance d’Afrique — qui souhaitent étudier en français au Canada.
Au Québec, le taux de refus de permis d’études d’étudiants internationaux avoisine les 90 % et même près de 100 % en ce qui concerne des pays africains. D’après le témoignage de l’ACUFC, la proportion de refus est légèrement plus faible ailleurs au Canada Francophone. Dans deux universités franco-ontariennes, les taux de refus atteignent entre 65 % et 70 %.
Et attention : selon le témoignage de l’ACUFC, étudier en français à l’extérieur du Québec est perçu par l’IRCC comme un parcours «illégitime». L’IRCC a nié cette caractérisation.
À une époque où nos communautés sont confrontées au racisme et au colonialisme perpétrés contre les communautés racisées, ce témoignage est profondément troublant. C’est d’abord et surtout une manifestation flagrante du racisme systémique, visant surtout les Africains. C’est aussi un exemple criant de l’ignorance profonde du fait français dans les communautés linguistiques minoritaires partout au Canada. Ces apanages de l’empire concourent à donner un dur coup à l’éducation universitaire franco-ontarienne.
L’Université de l’Ontario français à Toronto, dont 75 % des étudiants viennent de l’extérieur de l’Ontario, affirme que 75 % des candidats internationaux ont vu leur demande de permis d’étude refusée et que 30 % des candidats attendent toujours l’approbation ou le rejet du permis.
Luc Bussières, recteur de la nouvellement indépendante Université de Hearst, souligne que : «pour que 100 personnes s’inscrivent chez nous, il faut faire de 400 à 500 offres d’admission, après avoir étudié environ 1000 dossiers». Un rappel que 70 % des étudiants à l’Université de Hearst proviennent de l’international, et ce, presque exclusivement de l’Afrique.
«C’est carrément de la discrimination», a déclaré Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois. «Et c’est péjoratif envers les francophones hors Québec (…) C’est un manque de respect et de compréhension et de l’ignorance pure et dure.»
Oui.
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C’est aussi du sabotage culturel. L’enseignement universitaire franco-ontarien est à la croisée des chemins. Il faut donner à nos universités naissantes toutes les chances de réussir, toutes les occasions de s’adapter et de corriger le tir, servant les marchés nationaux et internationaux, et profitant des mêmes sources de revenus que toutes autres universités en Ontario.
Il faut donner à l’Ontario français la possibilité juste et équitable de bâtir des campus multiculturels, riches de diversité et de dynamisme pour les francophones de tous les accents. C’est essentiel : les étudiants internationaux, qui sont souvent des Franco-Ontarien.ne.s en devenir (et qui semblent être l’un des points de discorde de l’IRCC), renforcent notre présence démographique face à une population francophone en déclin. Les nouveaux Franco-Ontarien.ne.s constituent également une force collective qui permet à toute la communauté franco-ontarienne d’exercer leurs droits linguistiques, y compris l’accès à l’éducation en français.
En tant que communauté, l’Ontario français doit appuyer l’Université de l’Ontario français qui réclame un ombudsman fédéral à l’immigration et des lignes directrices plus claires pour les permis d’études d’étudiants internationaux. Nous devons aussi participer activement à la lutte antiraciste en reconnaissant que le «par, pour et avec» doit comprendre la mosaïque Francophonie mondiale, y compris les Africains (qui sont d’ailleurs «l’avenir du français») comme partenaire à part entière dans le succès des institutions franco-ontariennes.
Nous, esprits contestataires avec d’la ‘yeule, continuerons d’honorer nos aïeules et aïeux en nous battant pour que l’éducation en français en Ontario soit reconnue comme un parcours légitime. C’est un chemin que nous devons ouvrir pour les Francophones de tous les accents en Ontario.
Isabelle Bourgeault-Tassé est autrice Franco-Ontarienne. Elle a vécu dans les communautés francophones de Toronto, d’Ottawa et de Sudbury.