Des entrevues pour ce texte ont été réalisées avec l’aide de la radio CINN FM et du Journal Le Nord de Hearst.
Les auteurs du rapport croient que l’Ontario se dirige vers un gouffre si rien ne change. «Toute absence de mesure menacera la réputation de la province, ce qui aura d’importantes répercussions négatives» sur le recrutement, le progrès des économies régionales, la préparation de la main-d’œuvre et les investissements étrangers.
Le rapport suggère des modifications qui contredisent certaines décisions prises par les conservateurs au cours des dernières années. Par exemple, l’augmentation de 5 % des frais de scolarité dès 2024, suivie d’une augmentation de 2 % par année, serait un retour en arrière sur la réduction de 10 % accordée par le gouvernement en 2019.
De plus, le groupe demande une augmentation de 10 % du financement par étudiante ou étudiant dès l’an prochain, également suivi d’une augmentation annuelle.
Le groupe demande plus de flexibilité au modèle de financement afin de donner une marge de manœuvre aux établissements qui voient une baisse d’effectifs ou d’autres défis. Surtout dans les cas des collèges et universités de taille petite et moyenne ainsi que celles du Nord.
On peut relever une critique du virage du gouvernement vers une rémunération selon la performance. «Nous estimons que le changement d’axe de financement d’une notion d’effectif vers une notion de rendement n’est dans le meilleur intérêt ni des établissements d’enseignement postsecondaire ni de leur population étudiante», peut-on lire. Ils ne vont pas aussi loin que de demander un retour en arrière, mais suggèrent de ralentir sa mise en place afin de mieux analyser les conséquences.
Il faudra attendre la réaction du gouvernement pour savoir à quelles recommandations ils donneront suite : «Avant d’accepter toute augmentation des droits de scolarité, nous devons nous assurer que les collèges et les universités prennent les mesures nécessaires pour fonctionner de la manière la plus efficiente possible», affirme la ministre des Collèges et Universités de l’Ontario, Jill Dunlop, dans un communiqué.
Le Rapport Harrison, du nom du président du comité, Alan Harrison, a été rendu public le 15 novembre. Le groupe d’experts a été mis sur pied par le gouvernement provincial à la suite d’un rapport de la vérificatrice générale et de la crise de l’Université Laurentienne.
Pas de «par et pour»
Le rapport accorde un chapitre aux universités francophones, se concentrant sur la viabilité financière des «deux plus petits» établissements : l’Université de l’Ontario français (UOF) et l’Université de Hearst (UdeH). De leur avis, leur petite taille ne leur permettra pas d’être viable à long terme.
Cette analyse donne une impression de déjà vu au président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, Fabien Hébert. «On fait [encore] face à des experts qui semblent nous dire que nos universités francophones ne sont pas adéquates, mais ils ne nous donnent pas la chance de le prouver», dit-il en entrevue à l’émission L’Info sous la loupe à la station CINN FM de Hearst le 17 novembre. L’UdeH à son indépendance depuis un an seulement et l’UOF n’avait pas terminé sa 2e année lorsque le groupe à commencé son travail.
Dans le rapport, le groupe d’experts propose trois options pour la viabilité financière des universités et des collèges de langue française.
La première est de créer une nouvelle fédération d’universités avec l’Université d’Ottawa — la plus grande université bilingue avec une plus grande capacité d’analyse et de planification — au centre de la gestion.
La deuxième option créerait un tout nouveau modèle : une association entre l’UOF, l’UdeH, le Collège Boréal et le Collège La Cité. Ils avancent que ce modèle novateur pourrait plus facilement s’adapter aux besoins de main-d’œuvre de la francophonie et «de servir la francophonie, de promouvoir le français ainsi que la diversité culturelle et linguistique et de faire preuve d’esprit d’innovation».
La troisième option suggère la création d’un réseau ou d’un consortium pour favoriser la collaboration. Ce consortium pourrait inclure les deux universités et les deux collèges francophones, mais aussi les universités bilingues et même accueillir des établissements dans des régions à fortes présences francophones — Windsor est donnée en exemple. Ce modèle serait chapeauté par l’Université d’Ottawa, une fois de plus en raison de sa taille. Cette idée n’est pas sans rappeler le projet de réseau mis de l’avant par l’UOF et l’UdeH et qui attend présentement une réponse du gouvernement.
«On ne lit pas dans le rapport qu’il devrait y avoir une seule université à Toronto ou que les universités du Sud-Ouest s’intègrent. Les économies d’échelle ont leur rôle à jouer dans des prises de décision, mais ça ne devrait pas être le point sur lequel s’appuyer pour des décisions qui sont au détriment des communautés», élabore Fabien Hébert.
Le recteur de l’Université de Hearst, Luc Bussières, trouve que le rapport passe trop rapidement sur ces trois options. «Ces trois scénarios-là sous-entendent une complexité qui est difficile à imaginer quand on n’est pas dans le secteur.»
Chaque université a été créée par sa propre loi, les collèges sont moins indépendants, les conventions collectives sont différentes, etc. «Encore plus important, la lentille francophone a été complètement ignorée par le comité. Le par et pour n’apparait nulle part dans le document», déplore le recteur au micro de CINN FM.
De son côté, le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) rejette toute solution où un établissement bilingue déciderait de l’avenir des Franco-Ontariens. «[D]es décennies de luttes francophones en éducation ont fait la preuve du caractère irréconciliable du modèle d’institution bilingue […] avec l’épanouissement et le développement de nos communautés», déclare l’organisme par voie de communiqué.
Le RÉFO est légèrement ouvert à la troisième option, seulement si «ce réseau [est] doté d’une gouvernance entièrement francophone et autonome, plutôt que chapeauté par une institution bilingue».
Il est important de noter que le seul francophone membre du groupe d’experts, Maxim Jean-Louis, a refusé d’appuyer la recommandation de ces trois options et la consolidation des établissements de petite taille, éloignés et ruraux desservant le Nord.
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Les hauts et les bas des frais de scolarité
La recommandation de la hausse des frais de scolarité est mal accueillie par l’Association des étudiants francophones (AEF) de l’Université Laurentienne. Une semaine plus tôt, ils tenaient une journée de protestation coordonnée par le Conseil des Fédérations canadiennes des étudiantes et étudiants pour demander une baisse des frais de scolarité.
Selon les associations étudiantes, une réduction des frais de scolarité serait préférable, puisqu’elle diminuerait le décrochage et augmenterait le nombre d’étudiants inscrits.
«Ce qu’on a remarqué [à l’AEF], c’est que le rapport touche seulement l’aspect financier», analyse le président de l’AEF, Nawfal Mercier-Sbaa. «Il fait une abstraction totale du rôle socioculturel, socioéconomique des universités dans des localités comme Hearst.»
D’un autre côté, l’AEF accueille plus favorablement les recommandations d’amélioration au Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario (RAFÉO). Le groupe d’experts recommande entre autres la réduction de la contribution minimum des étudiants, d’éliminer les intérêts de la part d’endettement envers l’Ontario, augmenter l’aide aux étudiants des établissements du Nord de l’Ontario et ne pas tenir compte des biens et de la contribution des conjoints. À travers ces mesures, ils encouragent aussi l’augmentation de l’aide aux étudiants à faible revenu.
«Le taux d’intérêt qui est appliqué à la suite de la graduation devient un fardeau majeur pour le développement de la personne, pour sa stabilité socioéconomique», dit M. Mercier-Sbaa. N’importe quelle mesure qui permettra de réduire ce fardeau sera bienvenue pour l’AEF.
Étudiants étrangers
Pour les étudiants étrangers, le rapport demande surtout au gouvernement et aux établissements de faire preuve de prudence. La dépendance aux revenus des étudiants étrangers, surtout pour les collèges, crée des «risques pesant sur la viabilité financière». Ce risque a été relevé par la vérificatrice générale il y a deux ans et rien n’a encore été fait pour l’encadrer ou le gérer, prévient le groupe.
Les experts encouragent surtout la mise en place de pratiques exemplaires pour l’accueil, surtout en ce qui a trait à la disponibilité des logements.
L’AEF critique tout de même le rôle réduit accordé aux étudiants étrangers dans le rapport. Ils sont plus qu’une source de revenus pour les universités et les collèges, note Nawfal Mercier-Sbaa. «Ils contribuent à l’économie de leur région», rappelle-t-il.
Une opinion partagée par Luc Bussières de l’Université de Hearst. «Les données qu’on a […] c’est que plus de 50 % restent dans le Nord de l’Ontario et occupent des emplois dans leur domaine» environ trois ans après avoir obtenu leur diplôme.
Une pensée pour le Nord
Après analyses, le groupe d’experts est convaincu que des règles différentes doivent être appliquées aux collèges et universités du Nord de l’Ontario. Les projections démographiques de la région sont une des sources de leurs inquiétudes.
Ils suggèrent de réduire les attentes pour les effectifs de base ainsi que d’augmenter les subventions pour tenir compte des couts de fonctionnement plus élevés.