Cela s’est fait naturellement. Ce sentiment a commencé à prendre forme à partir du moment où je suis arrivé à Sudbury, avec épouse et enfants, il y a 40 ans.
Cela s’est fait, d’abord, en accompagnant mes filles dans leur scolarisation et dans l’univers étendu de leurs relations et de leurs activités extérieures à l’école.
Ensuite, dans le travail. L’Université Laurentienne me fournissait des ressources appréciables pour mener à bien mes recherches ; mes collègues et moi pouvions créer des programmes encouragés par une administration compréhensive ; l’établissement était effervescent, avec des organismes comme l’Institut franco-ontarien et l’Acfas régionale ; je découvrais dans les salles de classe une francité animée, étonnante, engageante.
Puis, dans la culture. Je découvrais des auteurs, des artistes qui exprimaient une réalité minoritaire qui m’était inconnue mais qui m’interpellait, et surtout une population avide de cette expression, ce qui rendait nécessaires des rassemblements et ce qui tissait des liens.
Puis, aussi, dans la communauté. Il était stimulant de jouer un rôle dans des conseils d’administration comme celui du TNO ; il était invitant de s’impliquer à Prise de parole et dans le journal Le Nouvel-Ontarien, lequel offrait une tribune autre que celle du Voyageur d’alors ; il était agréable d’être actif dans la Société amicale Trillium, qui accueillait les arrivants francophones, qui organisait des évènements cinématographiques ; il était nécessaire de participer à la création d’institutions de langue française.
Dans tout cela, il y a un Ontario français qui m’a accueilli autant qu’il m’a façonné. Qui m’a accueilli en me permettant d’intervenir en lui, en même temps que d’apprendre à le connaitre. Qui m’a façonné en s’associant à mon histoire, en s’insérant dans mes émotions, en modifiant mon identité.
Je dois beaucoup à l’Ontario français. Je le reconnais dans ce qu’il a été pour moi comme milieu de vie. Je le constate quand je pose un regard sur mes écrits. L’Ontario français m’a contraint à produire certains travaux en même temps qu’il m’a donné beaucoup de liberté dans d’autres productions. Si je n’étais pas venu à Sudbury, à l’Université Laurentienne, je n’aurais jamais écrit sur la population de l’Ontario français, je n’aurais probablement jamais éprouvé le besoin d’écrire des ouvrages de méthodologie au bénéfice des étudiants francophones. Or, ce sont là des travaux qui me définissent désormais.
Mais, au-delà des réalisations circonstancielles, le fait d’être devenu un francophone de l’Ontario a conféré à mes écrits une immense liberté. D’abord, dans le choix de la langue. La presque totalité de mes travaux est écrite en français ; l’Ontario français a permis qu’il en soit ainsi en légitimant cette langue et en m’offrant des occasions de publication. Ensuite, dans les problématiques.
En dehors de la rédaction de manuels et de travaux sur la francophonie et, plus généralement, sur le Nord, Sudbury et la francophonie ontarienne ont aménagé pour moi un espace d’autonomie intellectuelle qui m’a permis de développer des théories dont je ne puis concevoir maintenant qu’elles eussent pu voir le jour dans un autre contexte. Enfin, dans l’écriture elle-même. La manière dont s’alignent les mots dans mes textes est empreinte de l’indépendance que m’a accordée la vie franco-ontarienne de Sudbury.
Grâce à ce que j’ai trouvé dans l’Ontario français, à ce que j’ai pu être en lui, à ce que j’ai pu y réaliser, grâce à ce que ce milieu a fait de moi, a fait pour moi, mon attachement à ce peuple, à cet environnement est de l’ordre de l’évidence intérieure.