Ce titre évoque les dangers invisibles qui guettent au sein des mines, où les explosions des machines résonnent à travers un paysage sombre, marqué par l’exploitation des ressources. Chaque poème s’inscrit dans ce lieu de tensions, où la quête de pierres précieuses et de minerais s’accompagne d’un dilemme éthique. Les mots deviennent des métaphores des conflits humains et écologiques, explorant la solidité et la résistance face à la noirceur sous-terraine et la souffrance humaine. En creusant dans ces gisements d’émotions, le lecteur sera confronté à la délicatesse d’un sujet complexe, une adolescente atteinte d’épilepsie, où l’équilibre écologique et les aspirations humaines se rencontrent dans une danse à la fois fragile et puissante.
Racines
Véronique Sylvain, originaire du nord de l’Ontario, est une poétesse dont l’œuvre est profondément ancrée dans son identité et ses racines. Son recueil de poésie, paru aux Éditions Prise de parole, le 23 septembre, évoque souvent le Nord de l’Ontario, où la nature et la culture se côtoient. Sylvain rend hommage à la résilience des Franco-Ontariens, en particulier ceux qui, comme les membres de sa famille, ont travaillé la terre ou ont été mineurs.
Son écriture est une célébration des paysages et des villes dans le Nord, où elle capture les défis et les triomphes des communautés francophones. Par ses mots, elle explore les thèmes de la mémoire, de l’identité et du lien à la terre, tout en faisant résonner la voix des générations passées. Sa poésie est donc à la fois un témoignage personnel et un reflet de l’expérience collective des Franco-Ontariens.
Pour chaque poème, il n’y a ni titre, ni lettre majuscule, ni virgule, seulement des points, parfois au début, pendant et à la fin. On mâchouille les mots comme une longue mise en bouche pour mieux saisir les émotions et les jeux de mots.
Chapitre 1 : sans explosions
Dès les premières lignes écrites en vers libres, l’usage de l’anaphore «elle est venue / au monde» plonge le lecteur dans un univers d’émotions. On ressent l’impact de cette naissance métaphorique d’une formation géologique, façonnée par l’action des plaques tectoniques, de l’érosion et de la glaciation. Ce Bouclier canadien est né «en soulevant / la couverture / mystérieuse / du Nord».
Cette poussée du roc, qui fait «écho dans le corps» évoque la lenteur de la fonte des glaciers et rappelle l’impact d’un séisme ou d’un accouchement. Voilà le pouvoir des mots : chaque mouvement des glaciers, en retrait, laisse derrière lui des traces de son passage, une empreinte sur l’identité du territoire et du corps. De la même manière, l’anaphore «sans explosions cette fille n’existerait pas» pourrait faire allusion à l’épilepsie ou d’autres conditions neurologiques : chaque crise, imprévisible et soudaine, s’apparente à une intrusion, une irruption d’une force qui s’immisce dans le corps, modifiant le rapport à soi et aux autres.
On ressent un mouvement, une ondulation dans l’usage des mots, une tension, une peur : «dans le / cerveau / brouillé / d’une fille / sunny side / up – ça passe / ou ça / craque. – On marche / toujours / sur des œufs.»
L’espoir est évoqué par le dernier groupe de mots : / dans le jaune / coulant / d’un petit / matin.», un semblant de soleil.
Une description abrupte, dans le contraste, heurte autant l’esprit de l’auteur que celui du lecteur, comme une dynamite : sans la déflagration de ses neurones pas de crises / pas d’aurore mystérieuse grand trou noir dans sa / carapace crânienne / pas de secousses qui bouleversent régulièrement / ses rêves». L’absence de ponctuation renforce la fluidité et du sentiment de chaos intérieur, ainsi que la lutte entre lumière et obscurité dans l’expérience humaine.
Les lignes sont courtes, très légères en mots, très fluides, mais percutantes et lourdes de sens : « … sa tête / a toujours / été – dans / les / vapes. – une / aura – puis / une autre – ont longtemps / jeté / le voile / sur / sa mémoire.» Cela évoque les épreuves qui peuvent façonner non seulement l’individu, mais aussi sa relation avec le monde qui l’entoure suite en raison des conséquences du trouble sur sa mémoire.
Véronique Sylvain jongle avec l’allitération, ou la répétition de sons consonantiques «s» et «r», crée un effet musical et rythmique. Cette sonorité fluide et légère contraste avec la lourdeur et la sensibilité du sujet. Dans l’extrait «sa sensibilité / s’engage sur / une route périlleuse – s’étale / sur le siège», la sensibilité est personnifiée, évoquant un sentiment de surcharge émotionnelle qui occupe l’espace.
Chapitre 2 : réalité et fiction
Le thème de la mer est évoqué : «des points / d’interrogation / flottent / dans la salle / aquarium » ou encore « le médecin / entre dans la pièce – nage à la surface / des pronostics.» Les pensées floues s’écoulent comme autant de façons de guérir ses maux par les mots. C’est une gymnastique du son «s» et du contraste, passant du concret à l’abstrait, du sens propre au littéraire. Les mots et les idées pénètrent dans la conscience et dans l’inconscient, une lenteur permettant de mieux digérer une traînée de mots, d’émotions et d’images.
L’idée du mouvement s’avère puissante et puise dans la profondeur de l’imaginaire par les images qu’elle génère : «les lunette / du neurologue / grimacent – les cils / de sa mère / sont des / essuie-glaces – une paire de pupilles / fait l’aller-retour».
L’anaphore «elle a peur de perdre» martèle l’idée «que la peur / éclate – s’empare / de son corps – l’enfonce / dans une impasse – et la laisse / pour une morte.» Les images sensorielles, rythmées par des sonorités, reviennent : «son corps / s’enveloppe / de son silence. – elle / emmagasine / la mort / et magasine / les mots.»
Chapitre 3 : après le séisme
L’anaphore « elle écrit / pour ne pas / s’oublier » alterne avec « elle écrit pour oublier / pour ne pas oublier / pour s’oublier », comme un enfant qui tire les pétales d’une marguerite. «On lui dit «d’écrire… d’écrire…d’écrire… d’écrire…» répétant la recette de sa guérison, à la suite du combat intérieur entre mémoire et oubli. Les mots se bercent : «sortent», «reviennent», «repoussent» pour finalement prendre «racine».
L’allitération dans «la peinture / cloque. – sa tête / craquèle. – la fiction / maquille / la réalité» évoque la détérioration, la dégradation, une déformation de la réalité. L’alternance des sons dur et doux provoque un effet sonore qui amplifie une respiration : «quelques heures / pour qu’un corps / devienne carcasse, / simple instrument / désaccordé – que l’accordéon / perdre son souffle – qu’une clé / tombe sur le sol – qu’une autre / cesse de tourner…» On observe « le silence / de ses os.»
Le son de lettres dactylographiées émerge par l’allitération des labiales «p» dans les passages suivants : «…peroxyde. – une pluie / acide / crépite / sur sa peau.»
Chapitre 4 : faire œuvre utile
La vague de gutturales «c» creuse, raccommode la guérison : «cavernes / cavités / cratères / crevasses… de caresses / de comprimés / de corps étrangers / de crèmes / de croûtes» évoque les tentatives de guérison.
L’anaphore «elle voudrait / qu’on l’aime / pour celle» qu’elle est (est), qu’elle n’est pas (paraître) souligne le contraste entre l’identité réelle et l’identité perçue.
La raison alterne avec l’émotion, entre la réalité et la fiction dans les lieux qu’elle a habités et qui continuent à l’habiter : London, Cochrane, Ottawa et Sudbury.
Chapitre 5 : le désordre intérieur
La lutte émotionnelle présente dans l’usage des sons «b» et «n» dans les vers «elle / broie / du noir – elle / braille / le bleu / du Nord pouvant être perçue comme un pouvoir cathartique dans les actes de « broyer » et de « brailler». L’image des « deux corps / souffreteux » qui « se retrouvent – et / s’invitent / à une danse. » évoque une vulnérabilité et une fragilité physiques et émotionnelles dans cette lutte commune des souffrances intérieures. Malgré leur état, cette rencontre peut évoquer un espoir de guérison alors qu’ « un feu / s’active. » tandis qu’ « elle / poursuit / sa marche / en terrain / miné. » Ainsi, il s’agit d’un cheminement vers la guérison, avec un retour vers la création et l’écriture, lorsqu’elle « repars pour Sudbury », par le chemin de « la raison » et « l’émotion », en faisant la navette « entre la réalité / et la fiction /.
Chapitre 6 : le chemin du retour
Le retour à la nature se manifeste dans : «le blanc / d’une forêt / de conifères», où se trouve «écosse», «cocotte», «épinette». La forêt devient une «source» de guérison, permettant son épanouissement lorsqu’«elle sort / d’elle-même». L’extrait «le passé / est le magma / entre deux / plaques / tectoniques» constitue une métaphore puissante qui évoque le potentiel de transformation et de résilience des tensions émotionnelles au cœur des expériences humaines soulignant comment les souvenirs douloureux et les émotions enfouies perturbent l’équilibre émotionnel donnant naissance à une nouvelle identité.
Chapitre 7 : fleurs et fissures
Le «diagnostic / sur la peau / de l’écorce» peut symboliser sa couche protectrice suivant son introspection dans un chapitre où «le corps / se refait / une beauté» et «le cerveau / recolle / les morceaux» à la suite de ses traumatismes et expériences du passé, lorsqu’ «elle écrit / son épilogue» alors que «son histoire / se laisse / enfin / cueillir». Une acceptation de cette transformation ouvre à de nouvelles possibilités. Toutes les stratégies pour nourrir ce «vide» et être «toujours / au nord / d’elle-même» visent à trouver des réponses à des questions profondes sur soi-même, un retour essentiel à son être, un ancrage dans sa vie malgré les tumultes. L’idée «de plonger / au centre / de la Terre», d’être «cette rivière / qui s’ouvre / sur le fleuve» et que «tant de courants / montent / en elle » déborde de vie comme « le printemps» qui «regorge de sève». Une «harmonie / entre la conscience / et la crise» inspire un retour à l’«équilibre» qui «ronronne», un retour à la paix intérieure par l’écriture de la poésie qui «se remplume», qui se «remet au monde» comme «un enfant / sur une feuille / de papier». Des poèmes brodés «pour s’en faire / une cotte / de mailles» de ses fissures intérieures.
Cette quête de sens s’avère un voyage intrinsèque à notre condition humaine, révélant un désir profond de connexion, de compréhension et de réalisation de soi.
Le recueil de poésie En terrain miné est disponible à la Librairie Panache.