Le drapeau franco-ontarien ne doit plus flotter en permanence devant les bâtiments de la municipalité de Greenstone, comme il le faisait depuis près d’une dizaine d’années ainsi qu’en avait convenu le conseil de la communauté. C’est la décision qui a été prise par le conseil municipal actuel, à l’unanimité (en excluant une absence), le 12 février dernier.
Pourquoi ? Parce que, est-il écrit, « Il y a certaines journées où le drapeau franco-ontarien n’est peut-être pas un choix approprié, comme lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ou la Journée nationale des peuples autochtones. Dans le plan stratégique de la municipalité, le conseil s’est engagé à la réconciliation. Faire flotter un autre drapeau à longueur d’année en dessous du drapeau municipal ne s’accorde pas avec la réconciliation. »
Il est facile de réfuter un tel argument, et c’est ce qui a été fait par bon nombre de personnes : entre autres par Claudette Gleeson, présidente de l’AFNOO, dans des déclarations ; par Fabien Hébert, président de l’AFO, dans des entretiens ; par Mehdi Mehenni, dans un éditorial du Voyageur, le 21 février ; par Jean-François Lisée, dans une chronique du Devoir, le 28 février.
Il suffit de signaler qu’il est éthiquement malsain de favoriser le statut d’une population en retirant des droits à une autre, d’assurer l’équité entre les peuples en occultant des dimensions historiques ou identitaires, de rendre conflictuelle la reconnaissance des peuples minoritaires ; il suffit de signaler que, en Ontario, on ne sert pas d’autant plus la cause autochtone qu’on néglige la cause francophone.
Tout cela a été dit ; mais cette argumentation logique et morale ne suffit pas à convaincre les personnes pour lesquelles il est important que le symbole franco-ontarien ne soit pas structurellement lié à la communauté.
Au nom du principe d’une égalité universelle entre les peuples, certains individus, appartenant communément à des groupes majoritaires, entendent uniformiser les populations et dissoudre ainsi les entités minoritaires, les marginaliser, les folkloriser.
D’autres individus appartenant à des groupes minoritaires, mais partageant des traits avec la population majoritaire, vont jouer de cette évocation de l’universalité pour paradoxalement mettre à l’avant leur minorité, et ce, au détriment des autres minorités.
C’est à l’intérieur de tels positionnements idéologiques qu’il devient impératif d’éliminer le symbole de l’existence des francophones dans des communautés à la fois francophones et anglophones, des communautés qui, par ailleurs, comportent des familles autochtones qui sont à prédominance anglophone.
C’est dans cette mentalité que le drapeau franco-ontarien ne doit plus être associé en permanence avec la municipalité, car «en élevant une communauté singulière au-dessus des autres, nous rendons un mauvais service aux autres», selon Matthew Donovan ; car c’est «pour le bien de tous à Greenstone» qu’il doit en être ainsi, selon Elaine Mannisto, qui ajoute qu’«il y a des francophones dans la municipalité qui ne se sentent pas concernés» ; car «nous avons une grande population d’origine portugaise, beaucoup de Suédois et de Finlandais ici», selon Fran Koning.
C’est en fonction de cette philosophie que «le drapeau canadien est le seul qui devrait flotter de manière permanente à la municipalité», selon Chris Walterson, et qu’il ne faut pas, selon lui toujours, ajouter des drapeaux témoignant du rôle ou de l’existence de peuples parce que «si on le fait tout le temps, on va manquer de mâts».
La sémantique de la reconnaissance des minorités et le discours universaliste ne sont pas fondamentalement antinomiques ; on peut parfaitement concevoir que, au nom de l’égalité entre les peuples, il importe de souligner la présence de chacun d’eux, de prendre en compte leur rôle historique, leur identité ; on peut soutenir aussi que le principe universaliste est capable de se conjuguer avec l’idée de différenciation historique, car s’il est vrai que tous les peuples sont essentiellement égaux, il n’est pas vrai que tous les peuples ont contribué partout pareillement au devenir de chacun des milieux.
La thèse universaliste et celle de la reconnaissance des peuples deviennent incompatibles seulement quand l’une d’elles est posée comme absolue, et donc quand l’une d’elles rejette l’autre de manière a priori, ou quand, par exemple, dans le cas de figure de Greenstone, on fait valoir l’idée d’égalité entre les ethnies parce qu’on refuse l’existence particulière d’une ethnie.
Au nom du principe de l’égalité entre les peuples, brandi par une anglophonie majoritaire, il devient louable d’effacer l’existence de la population francophone minoritaire, ou le symbole de cette existence, et de souligner l’importance – indiscutable au demeurant – d’attirer l’attention vers la population autochtone, cela tout en affirmant que le mouvement vers le bien autochtone ne peut avoir cours qu’en causant un préjudice à la francophonie de la municipalité, cela en n’admettant que ne soient visibles les symboliques aussi bien des francophones qu’autochtones que de manière occasionnelle.
Cette logique ethnocentrique conduit des leaders anglophones, en position de force, à ne pas admettre le principe des particularités ethniques et, parce qu’ils sont contestés, ces leaders, plutôt qu’à se remettre en question, à entamer une consultation machiavélique de la population autochtone pour lui demander si elle est disposée à admettre la présence habituelle du drapeau des francophones de l’Ontario, démarche disgracieuse dans laquelle s’est engagé le conseil le 8 avril.
Il n’y a de paix sociale que lorsque les citoyens intériorisent le paradoxe qui veut qu’on tienne en estime la notion générale d’égalité tout en accordant sa considération aux particularismes.
Simon Laflamme, sociologue