Commencer une nouvelle chronique qui paraitra dans plusieurs médias est un peu énervant. On se demande quel style adopter, un ton enjoué ou «deadpan» sérieux, une accumulation de faits ou plutôt une analyse mêlée d’opinions? On se questionne aussi sur le sujet. Quelle question intéressera des lecteurs de partout au pays? Peut-on trouver un angle national à la hausse d’impôts fonciers à Saskatoon ou la réfection des routes à Sudbury? L’élection de gouvernements conservateurs purs et durs au Nouveau-Brunswick et en Ontario pourrait-elle avoir une incidence sur les Franco-Manitobains? Voilà des questions que je tenterai de démêler dans les prochains mois.
Devant ces dilemmes, j’ai donc choisi de parler d’un sujet qui devrait intéresser tous les Canadiens, soit le sommet de notre pyramide politique, le Sénat.
La semaine dernière, 11 sénateurs annonçaient la création d’une nouvelle formation, le Groupe des sénateurs canadiens (GSC) au sein de la Chambre haute. On retrouve dans ce groupe des sénateurs conservateurs, libéraux et même quelques indépendants. Le leader par intérim du nouveau groupe, l’honorable Scott Tannas, affirmait en entrevue à Radio-Canada : «Nous avons été créés pour protéger les régions du pays et les minorités». Là-dessus, le conservateur albertain a bien raison. C’est pourquoi les provinces ont un nombre prédéterminé de sénateurs. On comprend aussi pourquoi M. Tannas serait préoccupé par le fait que sa province n’ait, depuis la dernière élection, aucun député élu du côté du gouvernement libéral. Et qu’il se pose en porte-parole de l’Alberta. Mais on pourrait aussi voir dans la création de ce nouveau groupe plus une occasion de bien paraitre que de service au pays.
Prenons d’abord la question de la représentation des régions. Comme l’indique la composition même du Sénat, voilà un leitmotiv qui animent tous les sénateurs lorsqu’ils doivent exercer leur fameux «sober second thought» sur un projet de loi qui leur est soumis. Et ce mandat est devenu de plus en plus sérieux depuis que le premier ministre nomme des sénateurs indépendants qui ne sont plus régis par les politiques du parti qui les a nommés. Bien sûr, ces hommes et femmes sont aussi influencés par leurs propres convictions, mais ils et elles savent tous que leur analyse d’un projet de loi doit se faire en fonction de son impact sur leur coin de pays. Tous les sénateurs sont donc, par définition, des défenseurs des régions.
Mais là où le bât blesse dans les préoccupations qui animent le nouveau groupe de sénateurs, c’est la question de la protection de minorités. Au premier décompte — l’honorable Tannas indique que d’autres sénateurs se joindront au groupe — le GSC ne compterait aucun sénateur issu de la minorité francophone minoritaire. En fait, sur les 105 membres du Sénat, moins d’une demi-douzaine de sénateurs en sont issus, mais ça c’est une question pour une autre chronique.
Je comprends que les membres du GSC sont intelligents, certains sont bilingues et tous semblent capables de comprendre des concepts politiques auxquels ils ne sont pas personnellement confrontés. Mais à l’heure du pour et par, il est difficile d’admettre qu’ils pourront sciemment prendre des décisions qui protègent les francophones de Vancouver, Edmonton ou Moncton.
Certains parmi les cinq sénateurs acadiens et franco-canadiens pourraient un jour se joindre au GSC, mais pour l’instant il est un peu présomptueux de croire que ce nouveau groupe pourra adéquatement défendre nos intérêts.