Beaucoup de chiffres ont été lancés des deux côtés de la Chambre des communes cette semaine. Il ne faut cependant pas seulement se fier aux attaques de l’opposition officielle ni à la défense du gouvernement pour avoir un portrait juste. Les réponses complètes et les vérités se trouvent ailleurs.
Le faible impact sur l’inflation
Pierre Poilievre et ses troupes conservatrices répètent que la tarification fédérale du carbone – le nom officiel de la taxe sur le carbone – fait augmenter de façon importante le coût de la vie. Ils demandent donc son abolition, sans offrir de solution alternative.
Le premier produit que l’on pense à relier au carbone est l’essence. Une hausse de 65 à 80 dollars la tonne aura lieu le 1er avril.
Selon la Fédération canadienne des contribuables, cette augmentation fera passer la tarification par litre d’essence de 14,3 à 17,6 cents. Soit une augmentation de 3,3 cents le litre. Les guerres à l’étranger entraînent des fluctuations bien plus importantes.
Dans le pire des cas, si vous devez entièrement remplir le réservoir de 136 litres de votre F-150, il vous en coûtera 4,49 dollars de plus qu’en mars.
Les conservateurs rappellent que le prix de tous les produits est influencé par le coût du transport. Donc, puisque le coût de l’essence augmente, tout ce que l’on achète coûte aussi plus cher. Une autre vérité qui doit être relativisée. Selon le directeur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, l’augmentation annuelle de 15 dollars la tonne de la tarification sur le carbone contribue à l’inflation à la hauteur de 0,15 %. Avec une inflation de 3 % – environ ce que l’on voit depuis le début de l’année –, l’augmentation de la tarification compte pour 5 % du 3 %.
En d’autres mots, si votre épicier augmente le prix de votre soupe préférée de 50 cents, seulement 2,5 cents de cette augmentation sont dus à l’augmentation de la tarification sur le carbone.
Mais ça revient dans vos poches… ou presque
Les libéraux de Justin Trudeau commencent à peine à répéter que l’argent prélevé est remis à ceux qui l’ont payé.
Le gouvernement fédéral ne garde pas l’argent qu’il prélève : 90 % sont retournés aux contribuables. Le montant remis est différent dans chaque province où la tarification est appliquée, mais constitue en moyenne 1160 $ par année pour une famille de quatre.
D’ailleurs, les prochains paiements seront envoyés en avril. Si vous vous demandez si vous le recevez, surveillez attentivement votre boîte aux lettres ou votre compte en banque.
Pour se défendre des attaques des conservateurs, les libéraux martèlent que le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB) a calculé, dans un rapport datant de février 2020, que 8 ménages sur 10 (ou 4 sur 5) reçoivent plus d’argent qu’ils n’en payent en tarif sur le carbone.
Malheureusement pour les libéraux, le DPB était moins catégorique en 2022 et 2023.
Les nouveaux calculs tiennent compte de l’augmentation du montant de TPS/TVH payé sur la tarification et des impacts économiques de la mesure, comme la perte de revenus et le ralentissement de l’économie qu’elle peut provoquer. Ce serait plutôt 2 ménages sur 5 qui auraient plus d’argent dans leurs poches après le remboursement.
Mais pour certains économistes, cela reste une victoire. Parce que s’il n’y avait pas de système de tarification et de remboursement, il y aurait quand même une augmentation des coûts qui ne remettrait pas d’argent dans les poches des contribuables. Au lieu de récupérer une partie de leurs dépenses, ces derniers payeraient 100 % des coûts de la pollution. Ce dont ne tient pas compte le DPB dans sa deuxième analyse.
Ce n’est pas qu’une question d’argent
Reconnaissons une chose : le coût de la vie a beaucoup augmenté, mettant à risque plusieurs ménages canadiens.
D’un autre côté, il ne faut pas se leurrer : les impacts des changements climatiques coûteront plus cher à tout le monde.
Selon l’Institut climatique du Canada (ICC), «d’ici 2025, les dommages liés au climat ralentiront la croissance économique du Canada de 25 milliards de dollars annuellement, soit 50 % de la croissance du PIB prévue». Et ce seront les ménages à faible revenu qui souffriront le plus, ajoute l’ICC.
Justement, d’après les données du DPB, ces ménages reçoivent toujours plus d’argent de la Remise canadienne sur le carbone qu’ils n’en payent à la tarification du carbone. Pas les propriétaires de F-150.
Au-delà des questions de dépenses et de revenus, la tarification sur le carbone a un objectif principal : changer nos habitudes. Il a été prouvé plus d’une fois que d’augmenter le prix d’un produit est la meilleure façon d’en diminuer la demande.
Nous avons démontré ci-dessus que l’impact le plus important de la tarification reste sur l’essence, et non sur vos cannes de soupes.
Il est vrai que plusieurs régions canadiennes n’ont pas accès au transport collectif. Mais si personne n’est forcé d’en créer et de l’utiliser, il ne se développera pas.
Ne pas mettre toute la boucane dans la même cheminée
L’ICC vient tout juste de publier un nouveau rapport indiquant que la tarification sur le carbone n’est pas la mesure la plus efficace pour réduire les émissions de carbone. Elle représenterait entre 8 et 9 % de la diminution des émissions de gaz à effet de serre au Canada.
À côté, le système d’échange pour les grands émetteurs, la bourse du carbone qui vise les plus importants pollueurs, aura diminué les émissions de 23 à 39 % en 2030.
Ça ne veut pas dire qu’il faut abandonner la tarification pour les particuliers. Nous avons besoin de plus d’une mesure pour atteindre les cibles de réductions. Il est normal que les grands pollueurs puissent diminuer de façon plus importante leurs émissions, puisqu’ils travaillent avec des quantités beaucoup plus élevées.
Mais malgré ces chiffres intéressants, le système d’échange ne serait pas suffisant à lui seul.
Remise canadienne sur le carbone pour une famille de 4 personnes pour 2024-2025
Alberta : 1800 $
Saskatchewan : 1504 $
Manitoba : 1200 $
Ontario : 1120 $
Nouveau-Brunswick : 760 $
Nouvelle-Écosse : 824 $
Île-du-Prince-Édouard : 880 $
Terre-Neuve-et-Labrador : 1192 $
Source : Gouvernement du Canada