Les 15 et 16 mars 1973, plus d’une centaine d’étudiants, professeurs et leadeurs communautaires de Sudbury se réunissaient à l’Université Laurentienne pour le premier congrès Franco-Parole. Organisé par un groupe d’étudiants francophones avec l’aide du professeur Fernand Dorais, ce congrès avait pour but d’améliorer le cursus académique en français, la qualité et la provenance des professeurs francophones ainsi que la vie française sur le campus. Le congrès ira même plus loin en proposant une nouvelle structure administrative qui remettrait aux francophones le pouvoir décisionnel sur ces questions.
La rencontre mènera à 127 résolutions que l’université relèguera rapidement aux oubliettes. Près de 30 ans plus tard, on constate que c’est ainsi que l’Université Laurentienne a toujours traité les aspirations des francophones.
La genèse
Franco-Parole voit le jour alors que la contestation étudiante fait rage en Occident. Mai 1968 en France, Berkeley en Californie, l’opposition à la guerre du Vietnam : tout pouvait déclencher des manifestations dans les rues.
La Laurentienne n’était pas exempte de ce climat de rébellion. En 1971, le Sénat de l’université avait réussi à faire annuler les cours pendant une semaine. En 1972, les étudiants du département de français avaient tenu un sit-in, réclamant plus de professeurs canadiens qui enseigneraient la littérature d’ici plutôt que les classiques français. Le journal étudiant Réaction publiera d’ailleurs un texte de Gaston Tremblay intitulé «Molière go home».
À cette époque, j’étais vice-président français de l’association étudiante bilingue, la SGA-AGE. Un jour, j’apprends par pur hasard que l’université préparait un plan quinquennal et avait consulté ses professeurs, ses employés de soutien et la communauté, mais pas ses étudiants. J’ai pris ça comme une insulte collective. «Ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas notre avis que nous ne leur donnerons pas», me suis-je dit alors.
L’organisation
Je n’étais pas seul à ressentir cette frustration. Rapidement, un petit groupe d’étudiants francophones s’est réuni dans les locaux du journal Réaction afin de préparer notre réponse. Nous nous sommes entendus sur la nécessité de tenir une grande rencontre afin de connaitre les idées du plus grand nombre. Nous voulions que le congrès soit une occasion de proposer des solutions d’avenir. C’était une belle idée, mais nous ne savions pas trop comment organiser cette rencontre et nous tournions en rond. Un des participants, Laurent Alie, nous suggère de demander l’aide d’un professeur de français, Fernand Dorais, afin de «diriger le trafic», selon ses propres mots. Dorais accepte et les choses se mettent à débouler!
En quelques semaines, nous avons publié un document préparatoire — budgets, organigrammes, liste de comités incluant leur mandat et composition — qui expliquait comment fonctionne une université. Nous avons convaincu plusieurs professeurs francophones soit de déplacer leurs cours du vendredi 15, soit d’amener leurs étudiants au congrès. Nous avons reçu des inscriptions de certains membres de la communauté. Nous avons réservé des salles et mis sur pied un groupe d’animateurs et de rapporteurs d’ateliers. Nous étions plus ou moins prêts.
Lors d’une de nos dernières rencontres de planification, Dorais nous dit : «C’est bien beau votre rencontre, il va y avoir beaucoup de «parlotte» et de bonnes idées, mais je ne vois pas de fun. Il faut que cet évènement ait un côté culturel.» C’est ainsi qu’est née la Nuit sur l’étang pour clôturer le congrès.
Le congrès
Les 127 résolutions adoptées lors de ces deux jours de «parlotte» seront éventuellement décortiquées, analysées et publiées sous forme de manifeste par Yvan Rancourt1. Elles sont regroupées sous 15 rubriques, passant du «Fait français sur le campus» aux «Cours et horaires», aux «Professeurs» et aux «Activités culturelles».
La section la plus importante du manifeste reste cependant «La gestion des intérêts francophones», qui propose une nouvelle structure administrative basée sur la dualité. C’est la première fois que les étudiants disaient haut et fort : «On est tannés d’être sous la domination de la majorité. On veut un autre type de bilinguisme. Un bilinguisme où nous sommes égaux.»
La politique
Cette affirmation ainsi que d’autres recommandations issues des ateliers démontrent que Franco-Parole est le penchant politique du Mouvement culturel du Nouvel-Ontario qui prenait alors naissance à l’Université Laurentienne. Le congrès découle de la prise de conscience identitaire collective qui a poussé les étudiants de la Laurentienne à créer la pièce théâtrale Moé j’viens du nord, ‘stie et à lancer la maison d’édition Prise de parole. Ce sont les mêmes acteurs ou spectateurs de ces manifestations culturelles qui organisent ou participent au congrès Franco-Parole.
L’éveil politique suscité par Franco-Parole aura d’ailleurs des répercussions dans la communauté de Sudbury. À cette époque, le leadeurship francophone de Sudbury était noyauté par les catholiques. Des conseils scolaires aux clubs sociaux, tous les dirigeants locaux souscrivaient aux valeurs ultramontaines2. Ils considéraient d’ailleurs les jeunes rebelles de l’université comme des «pouilleux»3.
Les jeunes pouilleux prendront cependant leur revanche. Quelques années après Franco-Parole, ils noyauteront l’Assemblée générale annuelle de l’ACFO de Sudbury et en prendront le contrôle. Faute de pouvoir faire bouger l’université, ils feront bouger Sudbury.
1. https://zone.biblio.laurentian.ca/handle/10219/3669
2. Laurent Alie, L’ultramontanisme au XIXe siècle : une idéologie qui se manifeste encore dans le milieu francophone nord-ontarien, Revue de l’Université Laurentienne, vol. V, no 4 (septembre 1973), p 105-119.
3. Terme utilisé en 1973 par le frère Maurice Lapointe, directeur de l’École secondaire De La Salle à Ottawa, qui refusa de présenter la pièce La vie et les temps de Médéric Boileau du Théâtre du Nouvel-Ontario.