Lancée à Sudbury en 1978 par un groupe d’universitaires francophones de l’Université Laurentienne, la Revue du Nouvel-Ontario (RNO) est née avec l’ambition d’autonomiser un espace savant pour réfléchir sur le passé, le présent et le devenir de l’Ontario français.
Publiée en collaboration avec l’Institut franco-ontarien (IFO), fondé deux ans plus tôt, la revue succédait, en quelque sorte, à la Revue de l’Université Laurentienne, une publication universitaire bilingue lancée en 1970. Elle prenait aussi, d’une certaine manière, le relai de la dynamique Société historique du Nouvel-Ontario qui avait dû brutalement cesser ses activités en 1976, à la suite du décès de son fondateur et principal animateur, Lorenzo Cadieux.
Espace de savoir, la revue est aussi un espace de parole qui, au moment de sa fondation, vient contrer la minorisation quotidienne des francophones, à la fois sur le territoire ontarien, mais aussi, sur le campus de l’Université Laurentienne. L’initiative s’inscrit, à sa manière, dans la dynamique d’affirmation identitaire des Franco-Ontariens que l’on voit notamment dans la région de Sudbury, épicentre de la contreculture franco-ontarienne des années 1970.
Cette intention est d’ailleurs explicite dès le premier numéro : il s’agit, avec cette revue, de «marquer l’émergence d’un véritable Nouvel-Ontario, un Ontario où le fait français prend graduellement une place publique». Cette référence au «Nouvel-Ontario», tout comme l’image de la couverture des premiers numéros mettant à l’honneur la route 17 ceinturée de paysages forestier et minier, fait écho à cet ancrage régional particulier, traditionnellement associé au Nord et au Moyen-Nord ontarien. Ce terme, employé depuis le début du xxe siècle pour désigner l’ouverture du nord à la colonisation, prend alors une valeur symbolique particulière, celle d’un espace de création où se déploient de nouveaux «possibles» pour la minorité francophone de l’Ontario.
Si les études franco-ontariennes sont aujourd’hui un champ de recherche bien établi, il n’en était rien à la fin des années 1970, où l’on commençait à peine à enseigner cette matière dans les universités et, encore moins, à y conduire des recherches poussées. Or, à l’image de plusieurs Franco-Ontariens qui, après l’éclatement de la vieille référence canadienne-française, cherchent à se donner une nouvelle identité, la communauté scientifique francophone de l’Ontario cherche elle aussi à faire de l’Ontario français un objet d’étude à part entière, distinct de l’«objet Québec» qui était en voie d’autonomisation.
Ainsi, la démarche savante de la RNO s’est-elle toujours doublée d’une démarche nécessairement politique : celle de devoir rendre raison de l’existence de l’Ontario français comme sujet de l’Histoire à part entière. La revue voit d’ailleurs le jour à l’aube du premier référendum sur la souveraineté du Québec, thème auquel elle consacre sa toute première livraison («Les Franco-Ontariens à l’heure de l’indépendance»). Elle souhaite alors s’interroger sur la position des Franco-Ontariens dans la structure sociale ontarienne, mais aussi, plus largement, sur la place des francophones hors Québec dans le contexte d’une société canadienne en pleine mutation.
En se vouant à l’institutionnalisation des études franco-ontariennes, la RNO contribuait, en retour, à leur donner une légitimité dans le vaste champ des savoirs. Au fil des années, elle multipliera les analyses sur diverses facettes de l’Ontario français dans une perspective interdisciplinaire. Au terme de ses deux premières décennies d’existence, elle a déjà consacré des dossiers complets et fouillés (en libre accès ici) sur le syndicalisme, les idéologies, l’histoire régionale, la littérature, l’identité, les institutions, l’immersion, le monde juridique, l’économie, l’éducation et la langue. Elle a aussi convoqué dans ses pages les plumes savantes les plus connues et appréciées du milieu franco-ontarien : Gaétan Gervais, André Girouard, Benoît Cazabon, Laure Hesbois, Fernand Dorais, Yolande Grisé, Roger Bernard, Guy Gaudreau et bien d’autres.
La revue contribue aussi aux grands débats qui animent l’espace public franco-ontarien et même au-delà. Par exemple, en 1985, elle consacre un numéro complet à la question universitaire, qui déchaine déjà les passions. En 2011, elle invite divers chercheurs à «repenser la francophonie canadienne» à l’heure du pluralisme, mais aussi face à la diminution constante de la proportion de francophones dans la population canadienne. Tout ceci est sans compter les nombreuses contributions libres de chercheurs qui, au fil des années, ont approfondi, affiné et renouvelé notre compréhension de l’Ontario français dans ses pages.
En 2019, la RNO célébrait sa quarantième année de parution. Sa trajectoire — mais aussi la menace que fait peser sur son avenir l’hécatombe de la Laurentienne — soulève la question plus large de la fonction des revues savantes pour les communautés minoritaires. On ne saurait minimiser l’importance de ces dernières, surtout à l’heure où, par effet de mode, la littérature en sciences sociales et humaines tend de plus en plus à migrer vers les grandes revues internationales qui, pour la vaste majorité, ne publient qu’en anglais.
Or, comme l’ont bien démontré des chercheurs comme Vincent Larivière (Université de Montréal), les revues savantes nationales ou locales fournissent un lieu de publication privilégié pour les résultats de recherche susceptibles de toucher directement les sociétés ou les groupes concernés que les revues internationales (souvent des revues anglo-américaines) ont pour leur part tendance à ignorer. Leur importance tient non seulement au fait qu’elles sont des véhicules de diffusion de la connaissance sur des sociétés minoritaires, mais aussi qu’elles constituent des lieux de préservation, d’actualisation et de transmission de leur patrimoine scientifique. En permettant à la fois d’élargir les horizons de la connaissance tout en maintenant celle-ci en dialogue avec des milieux locaux, les revues savantes des communautés minoritaires œuvrent pour un savoir incarné et, à terme, pour la diversité de notre monde (et des points de vue sur celui-ci).