Malgré les flagrantes lacunes présentées dans les deux textes précédents, il ne faut pas tout rejeter du Rapport Le droit de lire. Certaines recommandations peuvent être intégrées à l’enseignement en langue française. Les orthophonistes qui évaluent et interviennent auprès d’élèves qui ont des troubles du langage écrit en parlent depuis au moins 20 ans avec les enseignants, les écoles, les conseils scolaires et leurs administrateurs ainsi qu’avec le ministère de l’Éducation. Ces informations ne sont pas nouvelles. Elles peuvent, toutefois, être nouvelles pour certains.
Il est difficile de se fier aux recommandations ou à la rigueur d’une enquête qui a négligé de nuancer ses propos, à un point tel qu’il a fallu accéder au document original en anglais pour comprendre. Malheureusement, la qualité du document traduit, lorsqu’il manque d’adaptation et de nuance, soulève des questions importantes quant aux droits de lire de tous : ce que l’enquête avait pour mandat d’accomplir. Le public a tout à gagner à se poser ces questions légitimes.
Or, quand on ajuste notre lentille en effectuant des recherches rigoureuses, il est possible de dégager des constats qui s’appliquent à l’apprenant, peu importe la langue dans laquelle il est scolarisé. Entre autres, dans ce rapport d’enquête, on a critiqué les méthodes d’évaluation du rendement de l’élève à partir de livres gradués et de systèmes d’indices (discuté dans notre 2e article) et les différentes activités de lecture prodiguées par le personnel enseignant. Comme pistes de solution, nous posons trois questions.
Les approches pédagogiques
Les réponses sont dans la formation et non dans l’information. Les orthophonistes scolaires sont des professionnels de la communication en français qui mènent des études sur les populations minoritaires en Ontario. Ils et elles ont recueilli des données probantes qui représentent cette population. Il est essentiel d’inclure ces données lors de la création d’une progression des apprentissages visant à enseigner tous les aspects de la langue orale et écrite.
Des progressions des apprentissages doivent être établies en lien avec l’acquisition de compétences langagières en français et refléter les réalités «des» langues des apprenants, de leurs besoins et il est impossible d’y arriver sans considérer la structure de chacune des langues qui sont enseignées, mais également celles auxquelles les apprenants sont exposés régulièrement.
Certaines progressions circulent, mais aucune d’elles n’intègre toutes les composantes qui doivent interagir dans le cerveau du lecteur/scripteur. Il faut savoir intégrer les informations dans une pédagogie au service de l’apprentissage qui puise ses fondements dans la science tout en ajustant les attentes de réussite aux élèves qui forment le groupe-classe, et non une norme dictée quelque part, établie sur une tout autre population, dans une langue ou un milieu linguistique différent.
Les types de livres
Un livre, même lorsqu’il fait partie d’une collection de livres très bien développée et étayée, n’a pas de propriétés diagnostiques en soi. C’est à partir de l’analyse de l’erreur du lecteur et en fonction de ce qui a été enseigné à l’élève que le personnel enseignant doit étayer son enseignement pour soutenir le lecteur dans ses apprentissages. Il n’est pas nécessaire de vous défaire de tous les livres qui sont dans votre salle de classe. Suivez ces conseils :
- Faites la distinction entre un livre lu aux enfants et un livre lu par les enfants. Cette distinction est importante, car les deux types de livres ont leur place, en même temps, sur la trajectoire de l’apprenant. A) Des livres déchiffrables qui contiennent des correspondances sons-lettres qui ont été enseignées et maitrisées par l’apprenant en suivant une progression des apprentissages bien fondée sont utiles pour bâtir la confiance du lecteur. B) Des livres jeunesse qui présentent un vocabulaire riche et authentique servent à étoffer les habiletés langagières orales qui servent de fondement à la compréhension en lecture. Les deux doivent être exploitées en parallèle dans des contextes d’apprentissage différents.
- N’accordez pas d’importance non justifiée à un livre, quelle qu’en soit la collection. Utilisez vos livres gradués comme on le ferait un livre jeunesse. C’est-à-dire, oubliez les niveaux de lecture qui les définissent ou dans lesquels ils ont été classés — encore plus si le niveau de lecture a été attribué à un livre jeunesse qui n’a pas été créé à partir de critères établis. A) Ils ne sont pertinents que lorsqu’ils ont été étayés par et pour une population définie, dans la langue ciblée et à partir d’un vocabulaire usuel connu de ces apprenants. B) Ils ne sont utiles que lorsque le lecteur a maitrisé toutes les correspondances sons-lettres qui se trouvent dans le livre présenté, faute de quoi les mots qui s’y trouvent ne pourront pas être déchiffrés et le lecteur sera porté à deviner les mots qu’il n’arrive pas à lire.
- Apprenez à évaluer les compétences en lecture des élèves en tenant compte de ce que vous avez enseigné et en enseignant tous les volets importants pour devenir un lecteur compétent, y compris la conscience phonologique/phonémique, le vocabulaire, la structure des mots (morphologie), la structure des phrases (grammaire) et éventuellement la structure des textes, en activant les connaissances antérieures pour aboutir à la compréhension et à l’inférence en suivant des progressions des apprentissages claires et axées sur les principes de la science de la littératie.
Lecture guidée et lecture partagée
Afin que le lecteur puisse, un jour, lire de manière autonome, il devra avoir vécu l’expérience de lire en étant accompagné. Certains diront que la lecture guidée a pour but de maximiser les habiletés de réflexion du lecteur sur ce qui a été lu, alors que la lecture partagée mise sur une interaction entre le lecteur débutant et son enseignante.
Peu importe, quoique ces deux types d’activités peuvent favoriser le développement du vocabulaire et amener l’élève à réfléchir à ce qui a été lu, l’élève peut réfléchir sur ce qui a été lu et interagir avec son enseignant sans avoir lu de manière autonome.
Il est faux de croire qu’en pratiquant ce type d’activité, l’élève arrivera à lire de manière fluide et autonome sans avoir reçu d’enseignement explicite sur le code. La CODP a raison ici. Mais les activités de lecture partagée, qui incluent la lecture interactive, la lecture jumelée et la lecture en dialogique, demeurent d’excellents moyens de susciter l’intérêt et de faire croitre le vocabulaire de l’élève. Ces activités ne peuvent toutefois pas servir de substitution à un exercice de lecture faite par l’élève, dans lequel il est amené à déchiffrer de manière autonome et comprendre les mots pour lesquels il a reçu un enseignement explicite des correspondances sons-lettres.
La CODP critique sévèrement ces approches. Encore une fois, ce ne sont pas les activités, à la base, qui sont nuisibles au développement de la littératie chez l’élève. C’est qu’on leur a souvent accordé une trop grande importance dans le bloc de littératie sans avoir passé suffisamment de temps à expliciter le code en fonction d’une progression des apprentissages. L’un ne peut pas être priorisé aux dépens de l’autre, surtout lorsque ce qui aurait dû avoir été explicité, a été négligé pendant trop longtemps.
Ressources informatives et conclusion
Rappelons que l’apprentissage de la lecture est un marathon, pas un sprint. La formation est clé et permettra d’adapter tout le matériel pour faire en sorte qu’il corresponde à la science de la littératie. Lorsqu’il s’agit de lire et d’écrire, TOUT est perdu dans la traduction du rapport Le droit de lire. Le droit de lire est pour toutes et tous, pas seulement pour les locuteurs de la langue majoritaire.
Ce billet de blogue fournira des réponses à certaines questions https://micheleminorcorriveau.com/que-faire-de-mes-livres-gradues-maintenant/ ainsi que des moyens de fournir rétroaction corrective efficace à l’élève.
Ce webinaire informatif et exhaustif vous permettra de mieux savoir quel type de livre privilégier et dans quel contexte pédagogique : https://www.taalecole.ca/article-demystifier-lecture/. Vous y trouverez des ressources pédagogiques téléchargeables pour parents, enseignants et élèves.