le Mercredi 23 avril 2025
le Jeudi 30 juin 2022 11:55 Chroniques et blogues

Le Canada-Franco et le Québec à la croisée des chemins

Isabelle Bourgeault-Tassé partage une chronique sur l'idéalisme entre les franco-canadiens, les québécois et ce que signifie être franco-ontarien.
Le Canada-Franco et le Québec à la croisée des chemins
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Rebelle et rêveur, mon père était un jeune audacieux, s’aventurant de Sudbury, en Ontario, cette terre de roche où il était devenu adulte, à l’Université Laval en quête d’un diplôme d’études supérieures en 1978.

Mais après son arrivée dans la ville de Québec (une ville extraordinaire, insiste-t-il), il fut exclu par ses pairs québécois — en provenance «de l’Ontario», il avait vécu parmi les Anglais.

Peu importe qu’il soit né et ait grandi dans la belle province, qu’il soit Canadien français et catholique ou qu’il parle un français éloquent et un anglais alors incompréhensible. C’était, comme le dirait René Lévesque en 1968, un «dead duck». Le «cadavre encore chaud» d’un francophone hors Québec, un spectre qui rappelait (faussement) à cette société distincte ce qui arriverait si elle ne cherchait pas refuge contre l’empire et son dominion qui avaient cherché à déraciner le fait français au Canada au fil des siècles.

C’était, dirait mon père des années plus tard, une mentalité de paroisse. Qui exclut, amenant la question : qui a le droit d’être Québécois? Qui a le droit d’être franco-canadien? Qui a le droit d’appartenir?

C’est une question que les communautés francophones partout au Canada, à la croisée des chemins de l’expression de nos identités, envisagent avec des résultats très différents. Nous, le Canada Franco et le Québec, suivons des chemins divergents alors que nous définissons qui nous aspirons à être en tant que Francophonie.

À la veille de la Fête nationale du Québec, célébrée cette année sous la bannière de «notre langue aux mille accents», le premier ministre du Québec François Legault jetait de l’huile sur le feu de joie traditionnel, déclarant : «Il est important de ne pas mettre toutes les cultures sur le même plan; c’est pourquoi nous nous opposons au multiculturalisme. (…) Nous préférons nous concentrer sur ce que nous appelons l’interculturalisme, où nous avons une culture, la culture québécoise.»

La notion du multiculturalisme prédateur, jumelé à la loi sur la laïcité du Québec — qui a un impact particulier sur les femmes musulmanes  — ainsi qu’à la nouvelle loi linguistique, un pas en arrière pour la vérité et la réconciliation avec nations autochtones, et le refus obstiné du gouvernement à reconnaitre l’existence du racisme systémique au lendemain du terrible décès de Joyce Echaquan, conspirent pour mettre la province sur la voie d’une définition étroite de qui est Québécois.

En revanche, les Franco-Canadiens choisissent actuellement une voie différente de celle de nos cousins québécois, une voie qui rejette l’idée des identités provinciales et nationales pure laine, nous conduisant à une mosaïque multiraciale, multiconfessionnelle, multilingue et multiculturelle. Nos communautés et nos institutions ont reconnu que, malgré la fougue de nos communautés, notre poids démographique décroissant pourrait ne pas soutenir la langue française au fil des générations à venir, que l’immigration francophone permettra à la langue française de prospérer, nous ouvrant à une incroyable «galaxie francophone».

Malgré mon idéalisme sans réserve, nos communautés au Canada français sont loin d’être utopiques. Dans ma ville natale de Sudbury, une «communauté francophone accueillante», les activistes dénoncent les barrières systémiques à l’emploi pour les immigrants francophones et la nécessité d’une stratégie de lutte contre le racisme dans le Nord pour appuyer l’équité pour les immigrants et les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Nous avons du pain sur la planche comme société.

Alors, qui a le droit d’appartenir?

Après plus de 50 ans dans le Nord de l’Ontario, mon père continue de parler un français éloquent et un anglais encore incompréhensible. Le jeune audacieux grandirait pour devenir un leadeur de la Franco-Ontarie, parmi les jeunes impliqués dans la création du bienaimé drapeau franco-ontarien.

Il n’était pas de Sudbury, ni du Nord, ni même de l’Ontario. Pourtant, il est devenu franco-ontarien. «Parce qu’on ne nait pas Franco-Ontarien – on le devient», dit-elle.

Partout au Canada, les francophones bénéficient énormément de notre pluralité, notre Francophonie mure de nos «mille accents», qui nous persuadent qu’il y a beaucoup à gagner dans une citoyenneté mondiale et comme une mosaïque de sociétés globales distinctes à part entière.

 

Isabelle Bourgeault-Tassé est une écrivaine franco-ontarienne. Elle publie à La Tourtière (https://isabellebt.substack.com/)