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le Mercredi 17 mai 2023 10:47 Chroniques et blogues

Les jeunes ne vont pas bien

  Photo : Shutterstock
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17 mai — Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie
Les jeunes ne vont pas bien
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Pour plusieurs, l’adolescence est déjà une période de la vie qui est assez difficile à naviguer. Mais alors que leurs camarades se découvrent, les jeunes queers font face à d’innombrables embuches pour y arriver : des situations familiales parfois toxiques, du taxage, de la violence et un climat social envenimé, pour n’en nommer que quelques-unes.

Le système d’éducation est devenu un des plus grands fronts dans une guerre contre la tolérance et l’idée d’une société plurielle. Inspiré en quelque sorte par le virulent climat antitrans qui s’installe un peu partout aux États-Unis — quoique les extrémistes du Canada sont quand même bien capables de passer à l’action par eux-mêmes —, on prend d’assaut les conseils scolaires du pays pour dénoncer l’inclusion à l’égard des personnes queers. On parle d’endoctrinement, de «grooming» et de «wokisme». On propage de fausses nouvelles pour illustrer la dérive morale de la modernité. On déclare que davantage de jeunes s’identifient comme queers en raison d’un programme sinistre, mis en place pour les corrompre.

Les guerriers de la liberté ont placé au cœur de ce discours l’innocence des enfants et le devoir de la défendre, à tout prix. Cette même valeur, cependant, n’est pas accordée aux jeunes marginalisées, qui, elleux, on est bien content de laisser languir, victimes de leur croisade. En fait, les voix les plus fortes dans ce discours cherchent à les protéger de quelque chose qui, pour certain·es, est une partie indissociable de leur être.

C’est à la suite d’une violente réaction publique de la part de certains réactionnaires locaux que le Rainbow District School Board s’est retiré de la Tournée Courage, notamment parce que celle-ci mettait en vedette des artistes du drag. On a pu observer la qualité du discours public entourant cet enjeu dans les commentaires violents qui se sont propagés en ligne. Un de ceux-ci réclamait la mise à mort des élèves queers qui ont organisé une manifestation contre leur conseil scolaire. Non seulement le conseil scolaire a-t-il manqué de courage, mais il s’est également contenté de laisser ses élèves vulnérables dans la ligne de mire d’une rage réactionnaire.

Des pareilles tactiques servent à intimider, à tenter de forcer les conseils à défaire le peu de progrès en matière d’équité qui a été fait dans les dernières années. Mais ces idées ne proviennent pas seulement des parents ou des membres de la communauté mal intentionnés; dans certains cas, elles proviennent de l’interne.

Toustes les personnes queers pourraient vous parler d’une personne pendant leur jeunesse qui les a profondément marqués. Ces adultes offraient des environnements dans lesquels on pouvait se sentir à l’aise d’être nous-mêmes. Loin de nous mettre des idées dans la tête, ils nous permettaient de nous découvrir et de nous épanouir, sans jugement.

Si ces figures sont aussi importantes, c’est qu’elles représentent une faible minorité. La majorité du temps, les jeunes queers ont droit à un traitement qui se situe quelque part entre l’indifférence et la méchanceté; des commentaires déplacés, le refus d’agir face au taxage et se faire pointer du doigt comme la cause de toute malchance qu’on subit, simplement par notre existence et notre présence.

Le mois dernier, des membres de la communauté queer ont tiré la sonnette d’alarme concernant le comportement en ligne de Stefano Presenza, conseiller pour le Sudbury Catholic District School Board et magicien à temps partiel. En plus de son soutien à de nombreux commentaires queerphobes, ce dernier prêchait de nombreuses théories du complot entourant la vaccination, la COVID-19 et le concept des villes de quinze minutes. Il y siège toujours et, donc, participe à la prise de décisions entourant ses opérations et ses politiques.

Bien qu’il se soit exprimé publiquement, combien d’autres en position de pouvoir et d’autorité sur la jeunesse partagent des sentiments similaires sans l’afficher? Comment est-ce que ces idées teintent leurs décisions? Même si le couperet ne tombe jamais, créer des situations où les jeunes marginalisés doivent constamment être aux aguets, à fleur de peau, leur cause énormément de dommage. 

On le sait déjà que les jeunes queers sont beaucoup plus à risque de souffrir de détresse psychologique et de mourir du suicide par rapport à leurs camarades. Ces statistiques ne sont cependant pas le résultat de leur identité queer; être queer ne signifie pas automatiquement qu’une personne sera déprimée.

Ce sont plutôt les instances de socialisation — l’école, la famille, les cercles sociaux, la communauté, etc. — et les attitudes de celles-ci envers l’identité qui ont un énorme poids sur la perception d’un·e jeune par rapport à son identité queer. Si un·e jeune craint d’être ostracisé·e par sa communauté religieuse, d’être rejeté·e par sa famille ou d’être victime de violence dans les corridors de son école, iel tentera de cacher cette partie d’iel-même plutôt que s’assumer pleinement. Iel fera tout en son possible pour garder son secret, alors qu’iel devrait pouvoir se concentrer sur sa jeunesse, sur son équipe de soccer ou sur son band.

Donc, si un·e élève voit tous les jours des commentaires haineux et violents en ligne, voit qu’un queerphobe est à la tête de son école et est assujetti de façon régulière au harcèlement de ses camarades, peut-on être surpris qu’iel soit en détresse?

Porter des chandails roses à l’école, c’est beau. Souligner des journées contre l’intimidation et la haine, c’est beau. Mais les jeunes queers exigent et méritent des actions concrètes. Iels ont eux aussi le droit de se sentir bien dans leur peau et nous avons le devoir social de l’assurer.

À quoi ressemblent ces actions dans un contexte scolaire? C’est créer et soutenir des initiatives liées à la diversité. C’est créer des clubs ou groupes de support pour les élèves queers. C’est rendre obligatoires des ateliers et des formations pour les membres du personnel enseignant, de soutien et administratif. C’est arrêter de réduire ou de minimiser les inquiétudes qu’expriment les jeunes queers quant à leur santé et leur sécurité. C’est de prioriser le bienêtre des jeunes, plutôt que les pires impulsions de leurs parents.

Ce que les activistes queers réclament avant tout est le droit de ces jeunes de se sentir bien — d’avoir l’enfance que nous aurions souhaité avoir — rien de plus rien de moins. La planète ne va pas arrêter de tourner parce qu’on laisse les enfants queers vivre leur identité. Au contraire, il faut être très conscient des conséquences qui vont surgir si nous tentons de l’empêcher.

Alex Tétreault est un artiste de théâtre et un activiste communautaire queer basé à Sudbury.