L’hymne officiel des Franco-Ontariens est au-delà du folklore. Plus que poème. Chant politique de notre grande tradition culturelle, Notre Place a rythmé nos manifestations, nos rassemblements et nos festivals de musique, alimentant notre résistance, notre joie et notre voix.
Le 18 novembre 1986, les membres élus du gouvernement de l’Ontario allaient voter à l’unanimité en faveur de la Loi 8, la Loi sur les services en français en Ontario, promulguée trois ans plus tard, qui donnait aux Franco-Ontariens le droit de recevoir des services gouvernementaux en français.
En tant que peuple de fight et de fête, nous allions célébrer avec une toune. Notre Place a été créée dans un esprit de joie, écrite par Paul Demers et composée par François Dubé en 1989 pour célébrer la Loi 8, point culminant d’une décennie de triomphes franco-ontariens. C’était l’apogée d’une ère de «Frog Power», un moment où les francophones de l’Ontario rejetaient leur fragilité historique pour trouver leur voix politique et revendiquer leurs droits linguistiques.
Notre Place sera intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens lors du Gala Trille Or 2023 à Ottawa, rejoignant ainsi un canon franco-ontarien qui comprend Baie Sainte-Marie, Dimanche après-midi et Bleu et blanc, conférant une importance encore plus grande à l’hymne officiel des Franco-Ontariens.
En tant que geste politique, Notre Place allait s’inspirer de poésie.
«Notre langue, on l’avait dans nos poches, nos poches avaient des trous», écrivait le poète et dramaturge franco-ontarien Jean-Marc Dalpé. De Fauquier à Pointe-aux-Roches, de North Bay à Lafontaine, Notre Place affirmait que nous n’avions plus à taire notre langue.
Inspiré par l’activisme de l’enclave francophone d’Orléans, Paul Demers écrirait «Pour mettre les accents là où il le faut, faut se lever», clin d’œil à la banlieue d’Ottawa qui a demandé que le nom de la ville intègre un accent aigu sur le «e» d’Orléans en 1989.
Affirmation de l’identité franco-ontarienne, Notre Place nous raconte à travers nos accents, ceux qui ponctuent notre prose et notre poésie, certes, mais aussi ceux qui marquent la mélodie du français tel qu’il est parlé en Ontario français.
Lors de sa première représentation en 1989, Notre Place a réuni des artistes franco-canadiens, y compris François Dubé et Robert Paquette, nés en Ontario, Paul Demers, né au Québec, et Hart-Rouge, un trio frère-sœurs né en Saskatchewan, un témoignage des accents uniques aux R roulants et des voyelles écrasées avec lesquels chacune de ces communautés francophones parle le français à travers nos géographies éloignées.
En 2017, année où la chanson est devenue l’hymne officiel des Franco-Ontariens, les artistes Kenan Belzner et DJ UNPIER ont réimaginé le classique culte avec la bénédiction de François Dubé. Les vocalistes Julie Kim, née à Beauharnois, au Québec, et Le R Premier, né à Djougou, au Bénin, allaient chanter Notre Place ensemble, le magnifique contraste de leurs accents emblématiques de notre mosaïque culturelle naissante. Ce remix met en lumière l’évolution culturelle de l’Ontario français, une collectivité linguistique riche des vagues successives de nouveaux Franco-Ontariens venus d’Afrique, des Caraïbes, du Moyen-Orient et d’ailleurs.
Alors que l’hymne officiel des Franco-Ontariens est intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens, il sera chanté par l’artiste Mehdi Cayenne, né en Algérie et ayant grandi au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Ontario.
«La version initiale est grandiose», a-t-il déclaré à ONFR+. «J’aimerais la livrer de manière très dénudée, très épurée. Vraiment mettre de l’avant la beauté et la clarté de la ligne vocale et du texte (…) pour qu’on puisse la chanter tous ensemble.»
Manifestation de résistance, l’hymne officiel de l’Ontario français est un formidable appel à la survivance, à nos accents, emblèmes d’une communauté pluraliste distincte. Une collectivité qui se bat «pour mettre les accents là où il le faut» grâce à nos droits linguistiques fondamentaux.
Notre Place est une affirmation que nous existons depuis longtemps en Ontario. Que nous sommes toujours là. Que le crescendo de notre voix — avec des échos d’anglais et de dioula, de cri et de créole, d’arabe et d’amazigh — résonnera pour les générations à venir.
Isabelle Bourgeault-Tassé est une écrivaine, chroniqueuse et journaliste franco-ontarienne. On peut la lire sur Substack.