le Lundi 9 décembre 2024
le Jeudi 14 septembre 2023 11:00 Chroniques et blogues

Bruler tout, jusqu’à l’épuisement

Dans le deux tiers des organismes de la francophonie canadienne, selon un rapport de la FCFA, les employés restent en poste moins de trois ans. — Photo : Mizuno K – Pexels
Dans le deux tiers des organismes de la francophonie canadienne, selon un rapport de la FCFA, les employés restent en poste moins de trois ans.
Photo : Mizuno K – Pexels
CHRONIQUE – Comme de nombreuses autres personnes impliquées dans des mouvements sociaux, j’ai vécu un épuisement militant.
Bruler tout, jusqu’à l’épuisement
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Il y a quelques semaines, j’ai quitté mon emploi à la direction d’un organisme féministe. J’adorais ce travail qui me permettait de mettre mes compétences au service de la cause qui me tient le plus à cœur et qui m’offrait la chance de pouvoir faire une réelle différence dans ma communauté.

Mais après trois ans de labeur, j’étais à bout, physiquement et mentalement. Épuisée face à l’ampleur de la tâche, face à l’indécence d’un système capitaliste patriarcal qui ne faiblit pas et face aux positions réactionnaires d’un gouvernement déconnecté de nos réalités.

Cet épuisement porte un nom : le burnout militant. Il fait référence à un état d’épuisement physique, émotionnel et psychologique qui peut toucher les personnes fortement engagées dans des causes sociales, politiques ou militantes en raison du stress chronique et de la pression associés à leur engagement.

Cet épuisement, je suis loin d’être la seule à l’avoir vécu. Elles sont nombreuses, les personnes brillantes et compétentes, à avoir jeté l’éponge au fil des années. Je les ai vues quitter le navire les unes après les autres, à bout de souffle, pour des jobs plus reposantes ou de meilleures conditions de travail.

Selon un rapport de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, dans les deux tiers des organismes, la durée moyenne en poste est inférieure à trois ans. Ce chiffre est révélateur de la fragilité de nos organismes communautaires.

Les gouvernements se déresponsabilisent de leurs obligations de fournir des services essentiels à la population, mais refusent de rétribuer à leur juste valeur les organismes et les personnes qui assurent ce travail.

Lorsqu’on sait que 80 % des employé·es des organismes communautaires et de bienfaisance sont des femmes, on voit là l’injustice et les logiques patriciales qui permettent et maintiennent cette situation.

Le privé est politique

Les multiples oppressions que j’observe au quotidien forgent ma vision du monde. Elles affectent également ma santé mentale.

Oui, bien sûr, j’ai eu de la joie à militer aux côtés de personnes incroyables, passionnées et déterminées à faire changer les choses. Je suis fière de ce que nous avons accompli ensemble et je reconnais et célèbre nos victoires et nos avancées. Mais je ne peux passer sous silence la lassitude, le découragement, le désespoir qui accompagnent nos combats. Mes émotions sont inextricablement liées à mon engagement. La colère qui nourrit mon activisme est aussi celle qui me tient éveillée la nuit.

Et je ne peux que constater qu’autour de moi, tout le monde se noie. L’anxiété, la dépression, les surmenages gangrènent nos lieux de travail et s’insinuent jusque dans nos maisons. Ces maux ne relèvent pas de l’intime, du personnel : ils sont le résultat d’un système profondément malsain et d’une stratégie visant à nous affaiblir.

«Le privé est politique» est une expression qui a été popularisée par les féministes dans les années 1970. Elle signifie que les problèmes qui affectent les individus au niveau personnel ont souvent des implications politiques et peuvent être influencés par des structures sociales et des systèmes de pouvoir en place.

Cette expression a souvent été utilisée pour souligner le fait que les problèmes tels que l’oppression de genre, les violences domestiques, les inégalités économiques et les discriminations raciales ne sont pas seulement des problèmes personnels : ils sont liés à des structures sociales et politiques plus larges.

Garder espoir

Prendre conscience du caractère systémique et collectif de nos malêtres m’a beaucoup aidée à remonter la pente.

Aujourd’hui, j’ai appris à retrouver la joie dans la douceur et la solidarité, aux côtés d’autres qui imaginent des futurs plus joyeux en refusant d’obéir. Aux côtés de celles et ceux qui tissent des réseaux d’entraide dans les marges et résistent dans chacun de leurs gestes, en cultivant des jardins ou en brandissant des pancartes.

Parce que les révolutions sont déjà là. Parce que perdre espoir, c’est accepter la victoire du patriarcat et du capitalisme. Parce que l’avenir appartient à celleux qui luttent.