le Vendredi 6 décembre 2024
le Vendredi 22 septembre 2023 16:00 Chroniques et blogues

Une rentrée parlementaire sous le signe de l’improvisation économique

Pour contrer l’inflation alimentaire, les libéraux ont convoqué lundi à Ottawa les patrons des cinq grands épiciers du pays pour tenter de les convaincre de geler leurs prix.  — Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse
Pour contrer l’inflation alimentaire, les libéraux ont convoqué lundi à Ottawa les patrons des cinq grands épiciers du pays pour tenter de les convaincre de geler leurs prix.
Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse
C’était la rentrée parlementaire à Ottawa cette semaine et le gouvernement Trudeau a enfin avancé des solutions concrètes aux inquiétudes économiques des Canadiens. La hausse des couts de l’épicerie trône au premier rang des préoccupations de la population, suivie de près par l’abordabilité du logement. Les mesures proposées dans les derniers jours réussiront-elles à changer la donne?
Une rentrée parlementaire sous le signe de l’improvisation économique
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Pour s’attaquer à la crise du logement, le gouvernement fédéral propose d’éliminer la TPS sur la construction des nouveaux logements locatifs. Pour contrer l’inflation alimentaire, les libéraux ont convoqué lundi à Ottawa les patrons des cinq grands épiciers du pays pour tenter de les convaincre de geler leurs prix.

Étant donné le contexte, ces solutions semblent malheureusement relever davantage de la réaction politique que d’une stratégie économique bien réfléchie.

Le gouvernement Trudeau est sous pression. Il dégringole dans les sondages au profit des conservateurs de Pierre Poilievre, qui font depuis des mois du cout de la vie leur cheval de bataille. Le gouvernement a donc commencé la session parlementaire à l’offensive. En proposant ces mesures, il a coupé court aux critiques de ses adversaires politiques.

Un plan pour le logement

La réaction des entrepreneurs en construction est unanime : le remboursement de TPS qui réduira leurs couts de 3,5 % aura un effet bénéfique sur le prix des nouveaux logements locatifs. C’est certainement possible étant donné la concurrence dans le secteur.

Cette mesure devrait aider les promoteurs à devenir admissibles à un financement et à construire davantage d’unités locatives. Ce type de logements est très recherché, mais peu attrayant pour les promoteurs dans le contexte de l’augmentation des couts de construction. Le gouvernement vise la bonne cible avec cette subvention.

Malheureusement, le déficit de logements à combler est immense. Depuis le début de la pandémie, les couts moyens de l’habitation au Canada ont augmenté de 55 % sous l’effet combiné de la hausse du prix des matériaux, de la main-d’œuvre et du financement.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) évaluait encore il y a quelques jours qu’il faudrait construire 3,5 millions de logements au Canada d’ici 2030 afin de rétablir l’abordabilité.

Au rythme actuel des choses, ce ne sont que 1,5 million de logements qui devraient s’ajouter au parc immobilier canadien d’ici 2030… ce qui laisse une pénurie de 2 millions de logements qui, à elle seule, devrait garantir le maintien de prix élevés.

Le remboursement de TPS annoncé par les libéraux aura donc l’avantage de réduire les prix à la source et d’augmenter l’offre dès qu’elle sera entérinée dans un projet de loi dans les prochaines semaines.

Cependant, les besoins sont tellement grands et la bulle de l’immobilier canadien tellement gonflée qu’on voit mal comment le gouvernement réussira à instaurer de nouvelles mesures suffisamment structurantes pour avoir une incidence significative sur la crise du logement d’ici les prochaines élections en 2025 ou 2026.

Difficile de stabiliser les prix à l’épicerie

Le deuxième grand effort du gouvernement pour lutter contre l’inflation réside dans la rencontre de lundi entre le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne et les patrons des cinq grands groupes d’épiciers au Canada, soit Loblaws, Metro, Empire (Sobeys, IGA), Costco et Walmart.

Le gouvernement avait pour objectif de tenter de convaincre ces géants de limiter l’augmentation des prix.

Disons-le d’emblée, cette rencontre relevait d’un exercice de relation publique.

Le ministre Champagne a demandé aux épiciers de lui soumettre un plan d’action d’ici trois semaines. Tout le monde a parlé d’une rencontre productive, mais il serait extrêmement improbable que les épiciers parviennent à avoir un effet sur l’inflation alimentaire.

On a beaucoup parlé des profits des épiciers depuis la pandémie à cause de l’inflation élevée du prix des aliments depuis 2021.

Il est vrai que les profits, notamment de Loblaws, ont beaucoup augmenté durant cette période, mais la marge de profits nette des épiciers reste très faible par rapport aux autres secteurs économiques. Elle oscille normalement autour de 2 % et est montée à 3 % au cours des dernières années.

Cela veut dire que pour chaque tranche de 100 $ dépensés pour exploiter leurs magasins, les grands épiciers font 2 à 3 $ de profit. Ce sont des entreprises très profitables à cause de leur volume considérable de ventes, et non pas en raison de leur cupidité particulière.

Pourtant, vous n’avez pas la berlue. L’inflation alimentaire est un phénomène réel et bien documenté. Les prix des denrées à l’épicerie ont connu une augmentation de 6,9 % par rapport à l’année dernière, une croissance des prix encore supérieure à l’inflation globale, qui s’est établie à 4 % en rythme annuel en aout.

Cette croissance élevée et persistante du prix des aliments est attribuable à un ensemble de facteurs, comme la hausse du prix du pétrole, des engrais, de la main-d’œuvre et du transport qui se répercute sur chaque étape de la production et de la transformation des aliments.

L’inflation alimentaire est loin de toucher seulement le Canada. Il suffit de se comparer pour se consoler. L’inflation du prix des aliments entre l’été 2022 et 2023 a atteint 54 % en Turquie, 66 % en Égypte et 117 % en Argentine.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des dynamiques particulières à l’économie canadienne sur lesquelles le gouvernement peut chercher à agir. Cela veut plutôt dire qu’il est peu probable que des menaces de contrôle des prix à l’épicerie aient l’effet escompté. Dans ce dossier-ci, le gouvernement se trompe de cible.

Il faudra attendre les prochaines annonces du gouvernement avant de juger, mais la spontanéité et le ton populiste du dévoilement de la rencontre avec les épiciers nous laissent penser qu’il s’agit davantage d’improvisation que d’un plan économique cohérent.

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.