À Calgary, un enfant, tenant une pancarte déclarant vouloir expulser les gais du pays, a pris la parole pour traiter la communauté queer de «dégoutants» et de «psychopathes». À Ottawa, des jeunes ont piétiné des drapeaux arc-en-ciel et trans avec l’encouragement de leurs parents. À Sudbury, 300 fascistes ont mené une procession en plein centre-ville, enfants à leurs côtés.
Où étiez-vous?
Oui, la contremanifestation sudburoise a eu lieu un matin en pleine semaine. Mais les manifestants croient vraiment à leurs conspirations. Ils sont convaincus de leur cause. Ils vont prendre des journées de congé du travail, vont retirer leurs enfants de l’école, vont faire la route pour venir parader leur ignorance sur la place publique. La haine ne prend pas de pause.
Les deux camps étaient de la même taille et cette ville devrait franchement avoir honte.
Nous avions besoin de vous et vous nous avez laissé tomber, encore. Vous nous avez laissé monter aux barricades seuls, encore. Nous n’avions pas le luxe du silence, ni de prendre une sabbatique de notre queerness. La marée monte et vous nous laissez nous noyer, engloutit par des vagues de haine.
Je ne me fais peut-être pas d’amis en chialant sur vous, mais si vous n’êtes pas capables d’entendre de la critique, vous n’êtes pas des alliés. Les personnes queers ne sont pas là pour vous flatter, pour vous dire que vous faites tellement bien ça, pour vous dire que c’était correct que vous n’y soyez pas. Être un vrai complice d’un groupe marginalisé nécessite un certain inconfort, un certain sacrifice, un effort minmal.
De vrais complices, ça aurait fermé leurs bureaux pour la matinée. Ça aurait écrit à ses amis, à ses membres et à ses abonnés pour propager la nouvelle. Ça aurait hissé le drapeau de la Fierté chez eux. Ça serait descendu dans les rues avec nous et on aurait fait face à la haine ensemble.
Mais ce n’est tellement pas ça qui s’est passé.
La police a scindé le groupe de contremanifestants en deux, réduisant notre impact. La municipalité n’a décidé de se prononcer qu’une fois la manifestation presque terminée et, bien que le Maire ait fait acte de présence, il ne s’est pas aventuré près des fascistes et n’a pas pris la parole publiquement.
Les conseils scolaires, les principaux concernés de cette affaire comme les manifestants hurlent des théories du complot et de la désinformation à l’égard de ce qui se passe dans leurs écoles, sont restés muets, même si leurs élèves queers les plus courageux se sont fait entendre à la ligne de front.
Les organismes et associations de la Franco-Ontarie se sont tus, promouvant au lieu leurs levers du drapeau et leurs activités respectives, comme si de rien n’était. Comme si une partie de sa communauté n’était pas actuellement assiégée. Semblerait-il que la survie des personnes queers n’est pas aussi importante que l’indépendance d’un commissaire aux services en français et ne mérite donc pas de mobilisation communautaire? C’est bon à savoir, quand même.
Vous pensez peut-être que nous exagérons, que ce n’est pas si sérieux que ça. Vous pensez peut-être que c’est simplement une poignée de gens qui chialent dans le vide et qu’ils ne pourront pas faire grand-chose. Mais ils ont l’oreille de leurs gouvernements. Les premiers ministres du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan et de l’Ontario sont sympathiques avec la cause des fascistes. Particulièrement Blaine Higgs, qui leur a serré la main lors de la manifestation de Fredericton — sans rencontrer les contremanifestants. Le Parti conservateur du Canada a adopté des politiques anti-trans durant son congrès en début septembre et son chef semble bien prêt à exploiter la rage de ces ignorants en quête perpétuelle de victimisation.
Les personnes queers voient venir la suite de cette campagne; l’Histoire démontre que la trajectoire est très claire. Est-ce qu’on vous a déjà traité de prédateur sexuel et de pédophile, simplement par le simple fait de qui vous êtes? Avez-vous peur de simplement exister sur la place publique? Si oui, vous comprendrez peut-être pourquoi ma communauté a tellement peur.
Nous n’assistons à rien de moins qu’aux débuts d’un génocide, une tentative d’éliminer les personnes queers et trans dès leur jeunesse. La façon qu’on y répond collectivement va déterminer la suite.
Il n’y a pas de juste milieu, ici. Il n’y a pas deux bords de la médaille. Ce n’est pas une discussion où chaque opinion mérite d’être entendue. Soit vous avez des valeurs, soit vous ne les avez pas. Si vous n’êtes pas prêts à agir, à défendre vos valeurs et à les mettre en action, à quoi servent-elles? Si vous n’agissez pas, en quoi êtes-vous meilleurs que ceux qui veulent notre disparition?
La semaine dernière, la haine a gagné. Vous les avez laissé gouter à la victoire, plutôt que de les renvoyer chez eux, la queue entre les pattes. Nous allons les revoir. Avec tout mon amour et toute ma rage : réveillez-vous, au plus sacrant. Les fascistes qui doivent aujourd’hui se sentir bien fiers d’eux-mêmes ne vont certainement pas se contenter d’une simple manifestation pour bien longtemps, ni d’une seule cible.
Alex Tétreault est un artiste de théâtre et un activiste queer basé à Sudbury.