C’est le premier ministre britannocolombien de l’époque, Gordon Campbell, qui a instauré cette mesure environnementale en 2008. Pourtant rien n’indiquait jusqu’alors qu’il était un ardent défenseur de l’environnement.
Il était à la tête du Parti libéral de la Colombie-Britannique, un parti connu pour ses positions de centre-droite, pour ne pas dire de droite. Il avait réduit les impôts, éliminé le déficit de la province, notamment en sabrant dans les dépenses, et il appuyait sans réserve le libre-échange.
Avant de se lancer en politique provinciale, il avait été maire de Vancouver. Là aussi, il était davantage connu pour ses réalisations économiques qu’environnementales.
Bref, l’environnement ne faisait pas partie de ses priorités.
Un leadeurship assumé
Pourtant, la lutte aux changements climatiques deviendra une cause personnelle pour le premier ministre.
Gordon Campbell raconte qu’un voyage en Chine en 2006, durant lequel il a été témoin des ravages causés par la pollution, lui a fait prendre conscience de l’importance d’agir pour lutter contre les changements climatiques.
En moins d’un an, une nouvelle taxe — la taxe carbone — allait être annoncée, adoptée et mise en œuvre dans la province.
À l’automne 2007, le gouvernement Campbell fait part de son intention d’adopter cette taxe. Les détails seront dévoilés lors du budget de février 2008. La nouvelle taxe entrera en vigueur rapidement, en juillet 2008.
Durant toute cette période, le premier ministre a travaillé à expliquer sa réforme à la population et aux milieux d’affaires ainsi qu’à mobiliser l’ensemble de son conseil des ministres pour faire avancer cette initiative.
Bien que l’opinion publique et les milieux d’affaires aient été favorables à la lutte au changement climatique, la taxe sur le carbone a néanmoins suscité des inquiétudes.
Le gouvernement a eu cependant le bon instinct de mettre en place une taxe «fiscalement neutre». Cette idée viendra des consultations menées avec divers groupes.
Les revenus supplémentaires obtenus par la taxe carbone sont donc remis aux contribuables, principalement par des baisses d’impôt. Ce faisant, le gouvernement ne pourrait pas être accusé de percevoir plus d’argent auprès des contribuables.
Mais il y a quand même eu de l’opposition. Les habitants des régions éloignées étaient particulièrement préoccupés par les couts supplémentaires que pourrait engendrer cette nouvelle taxe.
Ces inquiétudes étaient non fondées, mais elles ont été appuyées par le Nouveau Parti démocratique de la Colombie-Britannique qui, dans la foulée, pensait pouvoir réaliser des gains électoraux.
Il a échoué. Gordon Campbell et le Parti libéral ont été réélus en 2009, et la taxe sur le carbone est toujours en vigueur aujourd’hui dans cette province.
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Les leçons à tirer
L’histoire de la taxe carbone de la Colombie-Britannique est intéressante, car elle offre plusieurs éléments de réflexion pour comprendre les effets de la récente décision du gouvernement Trudeau de suspendre temporairement l’application de sa taxe carbone sur le mazout, un combustible très polluant.
Le premier de ces éléments est le fait qu’une taxe n’est jamais populaire. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle fonctionne. Si on veut modifier le comportement des consommateurs, il faut s’attaquer aux prix.
Une taxe carbone augmente donc le cout d’utilisation de biens qui provoquent des dommages environnementaux. On espère ainsi que les consommateurs seront sensibles à cette augmentation de prix et modifieront leurs comportements en conséquence.
À cause de son impopularité, une taxe sur le carbone doit être mise en œuvre avec un plan d’acceptabilité sociale. Les libéraux fédéraux n’ont jamais réussi à convaincre la population qu’ils en avaient un.
Est-ce qu’ils auraient pu faire mieux? L’exemple de la Colombie-Britannique semble dire que oui.
Deuxièmement, il est important de présenter un plan de lutte au changement climatique qui est susceptible de produire les effets désirés.
Plusieurs études faites depuis l’instauration de la taxe carbone en Colombie-Britannique ont rapidement montré que celle-ci a mené à une réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en préservant la croissance économique.
La taxe carbone fédérale existe maintenant depuis 2019, mais on peine à en voir les retombées. Les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter au pays.
Les causes de cette augmentation sont nombreuses, mais comme le notait récemment le commissaire à l’environnement et au développement durable, plusieurs questions subsistent quant à l’atteinte des cibles de réduction des émissions. Bien des Canadiens, ne voyant pas de résultats tangibles, pourraient ainsi se demander si la taxe carbone est vraiment une bonne idée.
Troisièmement, Gordon Campbell avait fait preuve d’un très grand leadeurship. La lutte au changement climatique était devenue sa priorité. Ses actions l’ont démontré.
Jusqu’à tout récemment, le Parti libéral du Canada faisait de la protection de l’environnement l’un des piliers de son programme. Mais en décidant de ne pas défendre bec et ongles sa taxe sur le carbone, c’est-à-dire en permettant des exceptions, Justin Trudeau a semé le doute.
Ce gouvernement est-il encore prêt à se porter à la défense de l’environnement? Ce ne semble plus être le cas.
Une fédération ingouvernable?
Il existe cependant une très grande différence entre la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral.
Gordon Campbell était à la tête d’une province qui compte environ cinq-millions d’habitants, alors que Justin Trudeau dirige un État de 40 millions d’habitants regroupant dix provinces, trois territoires et des milliers de municipalités.
Gouverner une fédération peut devenir rapidement très complexe, surtout lorsqu’il s’agit d’établir des consensus entre les différentes régions du pays.
En faisant une exception pour le mazout, Justin Trudeau vient peut-être tout simplement nous dire qu’un programme national de lutte aux changements climatiques est impossible à mettre en œuvre au Canada.
Cependant, si nous croyons à la faisabilité d’une action concertée de toutes les provinces et tous les territoires, ce serait à nous de le dire, à Justin Trudeau et à tous les autres chefs de parti politique.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.