le Mardi 15 octobre 2024
le Jeudi 7 Décembre 2023 11:00 Chroniques et blogues

Conférences sur le climat : un échec annoncé

Le président de la Cop28 a déclaré que la sortie des énergies fossiles ne donnerait pas de résultats appuyés par la science – ce qui est faux, précise le chroniqueur Jérôme Melançon.  — Photo : UNclimatechange – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)
Le président de la Cop28 a déclaré que la sortie des énergies fossiles ne donnerait pas de résultats appuyés par la science – ce qui est faux, précise le chroniqueur Jérôme Melançon.
Photo : UNclimatechange – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)
CHRONIQUE — La COP28 se déroule en ce moment à Dubaï sur fond de crise climatique et d’inaction globale. Les dirigeants de la plupart des pays (ou leurs représentants) se rassemblent pour offrir une réponse aux enjeux climatiques les plus pressants, mais leur réponse sera sans doute aussi insuffisante que celles apportées par le passé. Les forces économiques semblent décider d’avance d’un résultat qui ira contre la justice globale et la démocratie.
Conférences sur le climat : un échec annoncé
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L’enjeu de cette conférence est pourtant clair. Les gaz à effet de serre mènent au réchauffement climatique et celui-ci mène à des désastres écologiques, des pertes de territoire, des déplacements, des dépossessions, des conséquences affreuses pour la santé et pour les droits de la personne, ainsi que des morts — sans compter les couts économiques.

À lire aussi : Climat : crise et catastrophe (Chronique)

La COP28, ou 28e Conférence des Parties, rassemble les pays qui ont adhéré à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Cette convention crée les conférences annuelles et encadre leur gouvernance.

Toutefois, les effets de ces conférences sont limités.

Malgré certains résultats encourageants et la prise de conscience populaire qui a suivi, le protocole de Kyoto signé en 1997 et qui émane des COP3 à COP6 est vu depuis longtemps comme un échec.

Il en va de même pour l’Accord de Paris, signé en 2015 (COP21).

Tandis que les émissions de gaz à effet de serre devaient diminuer de 43 % avant 2030, les plans d’action en place ne permettraient qu’une diminution de 2 %.

Et encore, ce ne sont que des objectifs (insuffisants) et le progrès réel du Canada demeure encore bien en deçà de ses visées.

Outre le fait que les engagements ne sont pas respectés, les critiques formulées à l’endroit des gouvernements mondiaux sont nombreuses

La justice environnementale

Depuis la COP1 de 1995, ces rencontres ont également été le terrain d’un affrontement entre les pays responsables du réchauffement climatique et ceux qui en souffrent le plus. 

Avec les principes de précaution, de responsabilités communes et différenciées, et du droit au développement, la Convention-cadre reconnait déjà la justice comme un enjeu central de la question climatique.

Les changements climatiques toucheront évidemment les générations futures, mais ils ont déjà des conséquences grandissantes dans le monde.

Les pays en développement sont les plus affectés par ces changements, alors même qu’ils en sont les moins responsables.

Si leur transition vers de nouvelles technologies est appuyée par un important «fonds vert», la gouvernance de l’extraction des minéraux nécessaires à ces technologies, son incidence sur les populations locales et la distribution des profits qui en découlent demeurent des enjeux de taille.

Un accord a déjà été signé pour la mise en place d’un fonds pour venir en aide aux pays qui subissent des pertes et dommages attribuables aux changements climatiques.

Toutefois, ce fonds est pour l’instant d’un total d’environ 400 millions $ US. Le Canada s’est engagé à y verser 16 millions $, tandis qu’à lui seul il a dépensé 4,5 milliards $ canadiens pour l’achat d’un pipeline en 2019.

Démocratie et lobbying

Les COP sont l’occasion pour plusieurs ONG de contribuer à la discussion avec leurs connaissances fondées sur des perspectives expertes, pour plusieurs en relation au bien public. Des organisations militantes avec moins de moyens manifestent également près du site de la conférence.

Mais il s’y trouve aussi des lobbyistes employés par les compagnies d’énergie fossile. Les journalistes de la plateforme Heated estiment qu’au moins 600 d’entre eux participent à la conférence.

Depuis 2003, 7200 accréditations ont été accordées à de tels lobbyistes, ce qui a mené le Canada à restreindre (sans pour autant bannir) leur présence à son pavillon de la COP28.

À l’échelle planétaire, ces lobbyistes ont pour mandat d’empêcher les mesures qui nuiraient aux profits des compagnies productrices d’énergie fossile, comme celles responsables des émissions de gaz à effet de serre.

Au Canada, ces lobbyistes ont une influence sur les politiques et objectifs des grandes initiatives gouvernementales et ils freinent l’action liée au changement climatique. 

Ce qui se passe à la COP28 est encore plus grave : le président de la conférence, le sultan Ahmed Al Jaber, est ministre de l’Industrie et des Technologies avancées des Émirats arabes unis — mais aussi PDG de la compagnie pétrolière émiratie ADNOC.

L’octroi de l’organisation de la COP28 à Dubaï a souvent été critiqué.

Al Jaber aurait cherché à se servir de la conférence pour tenir des discussions commerciales autour de son exportation de gaz naturel liquéfié et pour détourner l’attention de l’inaction sur les énergies fossiles. Il voudrait utiliser les investissements dans l’énergie renouvelable comme écran, tout en améliorant l’image des Émirats arabes unis.

Il a par ailleurs déclaré que la sortie des énergies fossiles ne donnerait pas de résultats appuyés par la science — ce qui est faux — avant d’affirmer qu’il avait été mal interprété, mais en changeant son message.

Non pas des solutions, mais une volonté

On connait les accords et les solutions nécessaires. Les négociations et accords signés dans les premiers jours montrent la tenue de discussions sur la réduction du méthane, ainsi qu’un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire, mais également le refus persistant de toute sortie des énergies fossiles.

Toute initiative qui ne passe pas par la sortie des énergies fossiles — soit une élimination de celles-ci et non une réduction — ne réussira pas à contrer un réchauffement climatique de 1,5oC et risque plutôt de nous amener à une augmentation de 3oC.

De tels changements de direction et la prise de responsabilité collective qui les accompagne ne seront possibles que par la démocratisation et un souci de la justice.

En diminuant l’influence des compagnies qui ont tout à perdre de cette direction, il deviendra plus facile de faire passer à l’avant-plan la volonté de changement de voie des citoyens et citoyennes non seulement des pays les plus touchés par les changements climatiques, mais de l’ensemble de la planète.

 

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).