La maison d’édition Prise de parole est le dernier organisme né de la révolution culturelle franco-ontarienne à Sudbury à fêter son 50e anniversaire. Née par nécessité et grâce à un autre effort collectif, son premier recueil de poésie, Lignes-Signes, a été publié le 5 mai 1973. Les principaux acteurs de sa création — Gaston Tremblay et Denis St-Jules — avaient aussi joué un rôle dans la création de la pièce Moé j’viens du Nord, s’tie et de la Nuit sur l’étang.
Prise de parole a été créée parce qu’il n’y avait aucune autre façon à ce moment de publier un livre en français dans le Nord de l’Ontario. Comme le rappelle Gaston Tremblay, les Québécois avaient commencé à prendre leurs distances du reste du Canada français. Un recueil de poésie écrit par des étudiants d’une université bilingue ne les intéresserait surement pas.
Inspiré par ce qui avait été créé au cours des deux années précédentes et encouragé par des professeurs comme Placide Gaboury et Robert Dickson, MM. Tremblay, St-Jules et leur ami Jean Lalonde ont fondé Prise de parole.
Lignes-Signes devait être lancé lors de la première Nuit sur l’étang en mars, mais des retards d’impression — le service d’impression de l’Université Laurentienne leur faisait une faveur, mais ils n’étaient pas prioritaires — ont repoussé la publication au mois de mai, dans le cadre du congrès de l’ACFO provinciale. «Le public était très attentif et ça m’a un peu surpris», dévoile Denis St-Jules.
Denis St-Jules et Jean Lalonde avaient tout de même lu quelques-uns de leurs poèmes à la Nuit sur l’étang, accompagné par l’autre à la guitare.
La suite d’un club littéraire
Plus tôt, à l’automne 1972, Gaston Tremblay, Denis St-Jules et Jean Lalonde sont déjà dans l’équipe du magazine étudiant Réaction à la Laurentienne. Ils décident, avec l’aide du «très exigeant» professeur Fernand Dorais, de créer un club littéraire. «Peut-être que c’était une façon de nous obliger à produire davantage», se rappelle Jean Lalonde.
Lorsque la décision a été prise de publier les textes, c’est Gaston Tremblay qui suggère de créer une maison d’édition. «Je n’avais pas nécessairement d’idée dans quoi je m’embarquais, lance Denis St-Jules, mais Gaston avait une idée assez claire.»
Dès le départ, ils avaient la vision «d’être l’éditeur des Franco-Ontariens, mais sans trop savoir ce que ça allait exiger», dit Denis St-Jules.
Puisqu’il a grandi dans une famille d’entrepreneure de Sturgeon Falls, le défi n’effrayait pas Gaston Tremblay. Il voyait déjà les possibilités. «À cause de notre cohésion [de langue et de religion], on avait un impact culturel dans notre communauté», dit-il.
Ils avaient aussi déjà l’intention d’aider d’autres jeunes auteurs de l’Ontario français qui n’avaient pas d’exutoire. «Je pense qu’on a fait des miracles en donnant des chances à des gens qui ne les auraient pas eu autrement», dit M. Tremblay. Il pense entre autres à Patrice Desbiens et Jean Marc Dalpé.
Denis St-Jules et Gaston Tremblay n’ont que des bons mots l’un pour l’autre concernant leur travail d’équipe au début et leur engagement au fils des ans. Denis St-Jules a été bénévole ou membre du conseil d’administration pendant environ 30 ans. Gaston Tremblay a été directeur de 1978 à 1988.
Inspiration Miron et Paiement
Lorsque l’on parle de la création de la pièce Moé j’viens du nord, s’tie, le voyage du groupe d’étudiants à Toronto pour aller voir la comédie musicale Hair fait partie des moments incontournables de leur démarche.
Un élément similaire existe pour la création de Prise de parole : une rencontre avec l’auteur québécois Gaston Miron. Une rencontre et un voyage organisé grâce à Robert Dickson. L’histoire de la création des éditions de l’Hexagone par M. Miron et d’autres en 1953 était une fable inspirante pour les jeunes éditeurs franco-ontariens.
«Il y avait des atomes crochus entre notre équipe et Miron. Il m’a dit à plusieurs reprises qu’il sentait que c’était sa responsabilité de s’occuper des Canadiens-Français, parce qu’ils font partie de la famille», raconte M. Tremblay.
Au niveau local, Gaston Tremblay dit qu’il a «voulu faire une maison d’édition à l’image de ce qu’André [Paiement] avait fait au TNO».
Pour cette raison et pour d’autres, le suicide de son ami André Paiement en 1978 a énormément affecté Gaston Tremblay. Il raconte avoir vu l’écart se creuser entre les ambitions des créations d’André Paiement — le TNO, le groupe CANO… — et sa capacité à suivre la cadence.
Il décidera d’en tirer des leçons, de ne pas se «bruler à un point où tu deviens un étranger par rapport à ta définition sociale».
Lieux-dits
Lieux-dits, un nouveau recueil de poésie des Éditions Prise de parole. Des poèmes racontés de diverses formes et par différentes générations. Des récits allant de lieu en lieu, de relation en relation tout en permettant au lecteur de se noyer dans chaque mot qui se transforme en phrases qui ont en fin de compte une suite logique. Six poètes ont donc travaillé dans la réalisation de ce projet : Miriam Cusson, Yolande Jimenez, Suzanne Kemenang, Andrée Lacelle, Charlotte L’Orage et Guylaine Tousignant. Cet ouvrage a été produit pour célébrer les 50 ans de la sortie de Lignes Signes, le premier livre publié par Prise de parole le 5 mai 1973. Un spectacle de lancement aura lieu le 13 mai à la Place des Arts du Grand Sudbury à 17 h. Les six autrices seront présentes. Les billets sont disponibles en ligne : https://lepointdevente.com/billets/pdp230513001. (J.M.)
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Un nom qui dit tout
Au-delà du fait qu’ils ne croyaient pas qu’ils seraient acceptés par une maison d’édition de l’autre côté de la frontière, les fondateurs sentaient aussi le besoin de créer une entité qui leur ressemblait.
Le nom «Prise de parole» s’est imposé rapidement. Pour Jean Lalonde, c’était simplement ce qu’ils faisaient à ce moment-là. «Nous allions dire publiquement des sentiments, des émotions, des idées que l’on gardait normalement pour soi.»
«Je ne me souviens pas de qui ça venait, mais je me souviens que le nom Prise de parole s’imposait dans notre démarche. Ça témoignait de l’urgence de prendre la parole en français en Ontario», raconte Denis St-Jules.
Pour Gaston Tremblay, le nom Prise de parole le ramène aux écrits d’Anne Hébert sur la prise de parole, un peu à l’impact de la religion dans la vie des Canadiens-Français, mais surtout un «concept de réaction et de passer à l’action».
Les premières années n’ont pas toujours été faciles. Entre 1976 et 1978, «Prise de parole demeure silencieuse, à toute fin pratique, elle n’existe plus», écrit Gaston Tremblay dans un texte publié par Le Voyageur en 1985.
La maison d’édition a survécu grâce à la volonté d’autres personnes dévouées à la cause. Comme Claude Belcourt qui a été éditeur et Anita Brunet, une ancienne employée de la Librairie du Nouvel-Ontario qui a été «très très importante pour organiser et structurer les choses», précise M. St-Jules.
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