Le texte complexe de la pièce de théâtre La Terre est gronde n’empêche pas d’apprécier l’œuvre écoapocalyptique de Michel Ouellette. Dillon Orr a fait le bon choix de le transformer en fable clownesque et a modelé avec efficacité les comédiens communautaires qui offrent d’excellentes performances. Le Théâtre du Nouvel-Ontario a présenté sa production communautaire du 14 au 16 décembre à la Place des Arts.
L’histoire raconte les péripéties de Hubert «Bubu» (Isaac Robitaille) et Henriette «Riette» (Nadia Simard). La faim et la fin se rapprochent et iles attendent sur une ile dans un fleuve sans nom, dans un chalet «luxueux», avec des chaises «adirondack» et un bac à fleurs, le tout joué sur une estrade en «huit-clos».
Crayon (Denis Lapalme), Trudy (Marie-Josée Charrier) et Hugo (Justin Bélanger), trois survivants d’un accident d’avion, arrivent sur l’ile qui, en fait, leur appartient. Ils découvrent l’occupation illégale d’Hubert et Henriette. Trudy ordonne donc la servitude du couple, mais Hubert et Henriette parviennent à la convaincre de les garder comme serviteurs. Rapidement par contre, ils tuent Crayon et renversent les rôles de nouveau.
Trudy tente de séduire Hubert, mais leurs manigances sont stoppées par l’arrivée des «bibittes» de la terre : Mimi (Camille Dillon), Dodo (Caleb Gagnon), Nono (Marc Huneault), Tata (Miguelle-Éloïse Lachance), Nini (Marc Larivière), Kaka (Michelle Loubert) et Titi (Darlene Raven), ainsi que la résurrection de Crayon, parlant du chien à trois têtes, référence à Cerbère, gardien des Enfers. Ces personnages-créatures amènent aussi le chaos final de l’histoire de fin du monde. Par la suite, l’ile se fait engloutir par la mer, où tous les personnages se retrouvent sur un «radeau d’infortune».
Bien que le texte soit une œuvre d’acrobatie linguistique, le jeu des acteurs est excellent. Jouées dans un style clownesque avec le maquillage de visage tout blanc et un nez rouge, les habiletés des comédiens étaient marquées par l’apprentissage du texte complexe. Leur jeu expressif et physique était l’élément le plus fort du spectacle.
On peut apprécier aussi la musicalité du texte. Le rythme étant crucial aux nombreux jeux de mots entre les répliques des personnages. De plus, les relations entre les personnages étaient claires, suivant les différentes dynamiques «clown rouge et clown blanc» entre les couples : Hubert le clown rouge et Henriette le clown blanc; Trudy le clown blanc, Hugo et Crayon, les clowns rouges. Même quand les couples se rencontrent, on découvre que Trudy, étant un personnage fort, ambitieux et manipulateur, a toujours un statut élevé sur tous les personnages. Hugo exerce son autorité sur Hubert et Henriette, Crayon demeurant toujours un personnage rouge.
Avec l’introduction des personnages-créatures comme Mimi, Dodo et Kaka, leur rôle ressemblait au chœur des pièces de théâtre grec. Les huit personnages devenaient une entité qui complique et se moque de la réalité de la pièce de théâtre.
Les éclairages et les sonorités ajoutent aussi à la saveur absurde et accompagnaient bien le style des distanciations. Parfois, au chagrin des spectateurs, les volumes de l’environnement sonore étaient trop élevés, même si l’effet était désiré.
Malgré l’excellent jeu des comédiens et comédiennes, le texte n’est pas facile à comprendre. Les plaisanteries et les jeux de mots étant l’attrait principal de l’auteur, ils embrouillent parfois les détails de l’histoire.
Cela dit, les amoureux du théâtre peuvent apprécier les nombreuses références aux auteurs et à des pièces connues — comme le fusil de Tchekov, les mains ensanglantées de lady Macbeth et même des moments de distanciation de Brecht dans la mise en scène.
Un bel ajout à la saison du TNO qui porte le thème «Il n’y a pas d’extraterrestres, il y a que nous», La terre est gronde représente bien ce thème, exprimant une solitude dans un monde rempli d’obstacles et de défi sociétal ainsi qu’écologique, miroitant notre réalité amère. Baigné dans l’absurdité, le spectacle communautaire du TNO réussit toujours à rassembler la communauté pour apprécier les arts vivants.