le Lundi 20 janvier 2025
le Mercredi 13 mars 2024 9:00 Arts et culture

La longue revanche d’Isabelle Ratté

Isabelle Ratté échangeant avec son public.  — Photo : Carole Anderson
Isabelle Ratté échangeant avec son public.
Photo : Carole Anderson
Grand Sudbury - Un quart de siècle de création artistique multiple vient d’être couronné par une belle reconnaissance à l’égard de l’astucieuse Isabelle Ratté. La Place des Arts du Grand Sudbury (Pda) lui a offert sa toute première exposition solo. Il fallait voir, le jeudi 29 février dernier, l’émotion sur les visages de ses proches et ami.e.s. Carol Anderson est restée longtemps après la fin du vernissage à admirer les œuvres de l’artiste, ne croyant toujours pas qu’un vœu cher vient d’être exaucé. L’exposition de A à Zab est en cours jusqu’au 4 mai 2024.
La longue revanche d’Isabelle Ratté
00:00 00:00

Isabelle Ratté aime le changement. À ses élèves du Collège Boréal, où elle a enseigné depuis plus de 20 ans le dessin d’animation traditionnelle, les arts graphiques et les arts de la scène, elle a toujours offert des exercices différents. 

«Un jour, je me suis dit, tiens, je vais faire des exercices pour moi-même», lance-t-elle. 

Et c’est ainsi qu’a eu lieu la rencontre entre Isabelle Ratté et toute sorte de ferraille et d’objets usés, pour en faire des œuvres d’art à base de matière recyclable. 

L’artiste a déjà présenté des œuvres à des expositions collectives, notamment à la Galerie du Nouvel-Ontario (GNO). Zab, comme l’appellent affectueusement son mari et ses ami.es, n’a cependant jamais eu le privilège de tenir une exposition solo. Elle est pourtant depuis un quart de siècle au service de l’art. 

«Zab n’est pas une artiste émergente en 2024. Elle l’est depuis le début des années 2000, au moins. Ça prend des personnes comme Sylvie Mainville pour reconnaître des artistes de la communauté qui sont là depuis longtemps», soutient Carole Anderson, qui avait l’air plus contente qu’Isabelle Ratté ne pût l’être pour elle-même. 

Lorsque Sylvie Mainville, coordonnatrice de projets à la Place des Arts, a approché Isabelle Ratté, «dans sa grande ouverture toute naturelle, elle a prononcé un oui ferme», témoigne-t-elle. 

 

«Isabelle a un talent et une démarche interpellante. Elle est bien connue de la communauté; j’intuitionnais fortement que la communauté désirait découvrir son travail. Pour l’artiste, une exposition est toujours une occasion de découvertes en passant par l’abandon. Car quelques personnes interviennent dans le processus : la sélection des œuvres, l’installation. La GNO a soutenu Isabelle dans ce travail et elle a grandement apprécié le processus», souligne Sylvie Mainville.   

«Dépoto’art !»

Sur le mur principal de la Pda, faisant face au Bistro, et sous le regard intrigué du public, trônait une espèce de mi-robot mi-extraterrestre, que l’artiste a créé à partir de la tête de moteur d’une tondeuse à gazon, d’un tuyau d’échappement, de douilles de lampes, de robinets et de pièces d’automobiles dont elle ne connaît pas même  le nom. 

«Je ne connais pas forcément l’utilité des pièces que je récupère. Je sais seulement m’en servir pour les formes qu’elles m’inspirent», confie-t-elle. 

C’est ainsi qu’un quasi-miracle s’est produit quand le beau-fils d’Isabelle Ratté s’affairait à changer des pièces de son véhicule ! 

Deux grosses pièces bonnes pour le dépotoir avaient attiré le regard de l’artiste. La suite est impensable. Elle en a fait un instrument de musique qui pèse 75 livres et qu’il fallait mettre sur des roulettes pour le déplacer. Elle y a placé des cordes usées de son violoncelle, comme Isabelle Ratté joue à tous les instruments à cordes, entre guitare, basse et ukulélé.

Plusieurs participants au vernissage ont vu en cette œuvre un banjo, mais l’artiste est convaincue que sa création ressemble plus à un violoncelle. Après tout, c’est son œuvre !  

Pour aller jusqu’au bout de sa conviction, elle promet, en guise de seconde étape, de travailler à faire sonner cet assemblage de ferraille inerte. 

Mais il faut dire que cela n’aurait pas été tout à fait possible sans le poste à soudure que son mari lui avait offert à Noël. Cela fait deux ans qu’Isabelle Ratté s’est mise à la soudure, et elle en parle comme un enfant qui découvre un phénomène fascinant. 

«J’ai demandé à mon chum de prendre les photos quand je soude, juste pour voir à quoi ça ressemble avec le casque et tout l’équipement. Et d’un coup, il me montre la photo. Puis, je dis oh, mon Dieu, c’est vraiment malade. Ah non, mais ça flash solide, là. T’as-tu déjà vu ça en vrai, là ? Mais c’est malade !», raconte-t-elle. 

«Que se passe-t-il dans sa tête ?» 

L’autre œuvre qui avait captivait l’attention du public est une abeille faite à base de morceaux de couverts de table qu’elle a collés. Pour les yeux, elle a utilisé une balle de golf qu’elle a coupé à l’aide d’une scie. 

Mais ce n’est pas tout. Parce que l’artiste fait aussi de la couture. Elle a habillé pour l’exposition Sylvie Mainville d’une élégante robe faite du tissu d’un canapé usé. Des sacs à main étaient aussi accrochés à l’entrée de la Pda. Il fallait toucher la matière pour se rendre compte qu’ils étaient faits à base de bois, pour certains, et à base de métal, pour d’autres.  

Robert McMillan avait l’air un peu perdu devant un cadre fait à partir de piles de papier creusées au milieu et donnant l’impression qu’il s’agissait d’un morceau de béton obstrué. Des fils électriques sont soigneusement dissimulés à l’intérieur, répandant une faible lueur chaleureuse. 

«Je me demande comment et pourquoi elle a pensé à ça. Puis l’idée de récupérer tout ce matériel et créer des objets aussi fascinants. Surtout quand tu penses que le rouleau de papier a coûté 2$, et qu’on réussit à créer avec une œuvre sur laquelle il y a tellement de possibilités», dit-il. 

Isabelle Ratté a une réponse. Son esprit associe, assemble et désassemble tous les objets que ses yeux croisent dans l’espace qui l’entoure. C’est plus fort qu’elle. «J’ai parfois une idée d’assemblage rien qu’en prenant les escaliers», affirme-t-elle.

À la fin du vernissage, l’artiste ne tenait presque plus debout. Elle a accompagné chaque participant désireux de faire le tour de ses œuvres.  Elle n’avait pas non plus de mots pour décrire spécialement sa joie au micro du Voyageur. Probablement par humilité. Isabelle Ratté a aussi le génie de tourner son propre succès en dérision. À la question de savoir qu’elle retour avait-elle obtenu du public, elle a répondu : «Soit ils ont tripé. Soit ils sont polis !». 

Le public est resté tard à l’exposition pour ne pas aimer.