Pour la première fois en un siècle, l’Université de Sudbury n’accueille aucun étudiant pour la rentrée scolaire. L’établissement pourrait sembler ne pas remplir sa fonction première cette année, mais il y a quand même une petite équipe en poste qui travaille à sa réinvention et qui, tranquillement, entre en contact avec le gouvernement ontarien.
Le recteur de l’Université de Sudbury, Serge Miville, a discuté avec la sous-ministre des Collèges et Universités, Shelley Tapp, le 3 septembre. De plus, la ministre, Jill Dunlop, avait finalement répondu à leurs lettres au cours de l’été pour indiquer qu’elle avait besoin de plus de temps pour étudier le dossier.
La rencontre avec la sous-ministre a principalement été un échange d’informations. Les discussions sont constructives, révèle M. Miville, mais elles concernent surtout la charte et la loi qui entourent l’UdeS. Le retour à l’indépendance d’une université n’est pas un dossier très courant pour les gouvernements.
«Ça fait à peu près 61 ans qu’ils n’ont pas eus à nous jaser, alors là, ils apprennent à nous connaitre», illustre Serge Miville. Effectivement, depuis 1960, toutes discussions entre les universités sudburoises et le gouvernement étaient menées par l’Université Laurentienne. Les canaux de communications sont à construire, les liens à créer.
«Il ne faut pas oublier une autre chose, c’est que le secteur universitaire en ce moment traverse quand même une période difficile avec la COVID. Il y a beaucoup de chats à fouetter pour le ministère. Il ne faut pas être pris de panique à ce stade-ci et il faut être patient.»
Le recteur reste positif, en soulignant que personne ne leur a encore dit «non». Néanmoins, le temps presse afin que l’Université de Sudbury puisse déposer une demande pour du financement de la nouvelle enveloppe de 121,3 millions $ sur trois ans du gouvernement fédéral. La date limite est le 14 octobre.
Statut ancien et particulier
L’Université de Sudbury est plus ancienne que l’Université Laurentienne. Même si elle avait suspendu son droit de décerner des diplômes au profit de la Fédération de l’Université Laurentienne, elle a encore le droit de le faire. Puisque la fédération n’existe plus, l’Université de Sudbury retrouve ainsi son indépendance et son autonomie.
Mais recommencer à offrir des programmes et des diplômes ne se fait pas en criant «ciseaux». «Aujourd’hui, les choses ont changé dans le sens où il y a tout un élément de contrôle de la qualité sur lequel il faut travailler. Il y a des processus en place qui n’existaient pas à l’époque», rappelle le recteur.
Et Serge Miville veut montrer patte blanche au ministère en suivant tous les processus et en remplissant tous les formulaires que doivent respecter les universités indépendantes. Ils viennent même d’adopter une politique de vaccination.
Une rentrée sans classe, mais avec beaucoup de travail
Même sans étudiants, plusieurs tâches attendent les employés qui sont encore àe l’Université de Sudbury. «Il faut établir les politiques académiques, la signature du baccalauréat. Il faut travailler sur nos plans à moyen et long terme. On attend un peu l’interprétation du ministère sur notre statut et, une fois qu’ils nous offrent plus de clarté là-dessus, on va pouvoir mettre plus de ressources sur un côté plutôt que sur l’autre», explique Serge Miville.
En attendant, l’ambition est de créer un programme d’étude «unique et innovateur», qui donnera le gout aux jeunes francophones de venir et de rester dans le Nord et qui rétablit la confiance envers l’éducation postsecondaire. «Ce n’est pas une université à rabais qu’on est en train de développer», illustre le recteur.
Ce sera en bonne partie la tâche de l’ancien professeur et vice-recteur aux affaires francophones de la Laurentienne, Denis Hurtubise, qui a été engagé comme secrétaire général de l’Université de Sudbury.
Ils tentent aussi de fournir des bourses pour aider financièrement ses anciens étudiants qui n’ont pas eu le choix de changer d’université pour terminer leurs études. Une entente entre le gouvernement et l’Université Laurentienne permettait à certains étudiants de recevoir une bourse d’un maximum de 4000 $ pour terminer leurs études dans d’autres établissements. Plusieurs étudiants n’étaient cependant pas admissibles, dont tous les étudiants des universités fédérées.
Heureusement, les finances de l’université étaient saines avant la pandémie et la séparation. Sans dette et sans hypothèque à payer, ils roulent sur des réserves accumulées au cours des années. Ils ont aussi pu se permettre des rénovations à leur édifice de résidence, qui pourra accueillir des étudiants à nouveau en 2022.
Un pied dans l’élection
L’Université Laurentienne et l’Université de Sudbury sont devenues en quelque sorte le symbole des problèmes financiers des universités canadiennes pendant la campagne électorale fédérale. Le chef du Nouveau Parti démocratique et le chef du Parti libéral du Canada ont annoncé des millions de dollars en financement pour l’éducation postsecondaire en milieu minoritaire sur la terrasse de l’Université de Sudbury à quelques jours d’intervalle.
D’ailleurs, Serge Miville a eu la chance de discuter avec le chef du NPD, Jagmeet Singh, après que ce dernier ait mentionné qu’il n’était pas pour le transfert des programmes en français de l’Université Laurentienne vers l’Université de Sudbury. Le recteur a eu la chance de bien expliquer le projet d’université par et pour les francophones qu’il chapeaute. «Lorsque je lui ai parlé, il appuyait sans réserve notre projet.»
Le dossier de l’éducation est un enjeu avant tout provincial, mais le statut bilingue ou francophone permet au fédéral d’engager des sommes d’argent. Le gouvernement fédéral est responsable des communautés linguistiques en milieu minoritaire et Serge Miville croit qu’il faut rattraper le temps perdu dans le financement de l’éducation postsecondaire, dont les enveloppes sont gelées depuis des années.
«Ces réinvestissements-là et le fait que les principaux partis s’engagent là-dessus démontrent qu’on a vraiment fait du chemin dans le réseau postsecondaire [en milieu minoritaire]. […] Il faut que le fédéral soit là, c’est nécessaire.»