le Mardi 17 septembre 2024
le Jeudi 20 octobre 2022 1:21 Éducation

Ingérence dans les admissions à une maitrise à l’Université Laurentienne

  Photo : Archives
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Sudbury — La vice-rectrice académique de l’Université Laurentienne, Marie Josée Berger, a renversé des décisions du comité d’admission de la maitrise en orthophonie sans consulter le comité. Cette ingérence inquiète les directeurs de programmes qui doivent être accrédités par des organismes de régulation.
Ingérence dans les admissions à une maitrise à l’Université Laurentienne
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Des explications ont été demandées à la vice-rectrice lors de la réunion du sénat de l’Université d’avril 2022. Mme Berger a donné des exemples de communications et de consultations qu’elle a eues dans le passé avec le programme d’orthophonie et d’autres programmes pour démontrer qu’elle discutait avec les divers départements. 

Après la réponse initiale de Mme Berger, la sénatrice Christina McMillan Boyles, qui avait posé les questions au nom du comité d’admission, a immédiatement fait remarquer à Mme Berger que sa réponse «n’avait rien à voir avec la question». La question concernait un cas récent et très précis de manque de consultation.

La sénatrice a ensuite donné la parole à la professeure du programme d’orthophonie, Michèle Minor-Corriveau, qui a ramené sur la table le point principal de la demande d’intervention : «La liste des candidates est des candidats que nous avons remis [à l’administration] n’avait pas été respectée. Dans ce sens-là, nous avons perdu l’autonomie sur nos décisions. Nous devons le rapporter à notre organisme règlementaire.»

L’un des principaux problèmes, explique la professeure, est que le programme est sous-financé et n’a pas le personnel pour la charge de travail que représente la décision prise sans consultation par l’administration. «Nous avons le programme [d’orthophonie] en français le plus peuplé après l’Université de Montréal, mais avec le moins de ressources», affirme Mme Minor-Corriveau.

«Le maximum [d’étudiants à la maitrise] a été établi parce que nous n’avons pas assez d’orthophonistes en communauté ou à l’interne pour superviser tout ce monde-là», ajoute-t-elle. Chaque étudiant.e à la maitrise représente des milliers d’heures de supervision par les professeures au cours des deux années que dure la formation.

Avec des professeures en congé sabbatique deux années de suite et le départ d’un professeur qui n’a jamais été remplacé par l’administration, les professeurs du programme sont déjà surchargés de travail, dit-elle. «Nous ne pourrons pas superviser les étudiants.es, faire nos recherches et nos tâches d’enseignements correctement.» 

De plus, depuis le début de la restructuration, des professeurs de la Laurentienne ont confirmé plus d’une fois être maintenant obligés de faire des tâches administratives qui ne leur reviendraient pas dans une autre université.

Marie Josée Berger a refusé notre demande d’entrevue.

Risque pour l’agrément?

Lors de la même réunion, le professeur du programme de service social, Stéphane Richard, a soulevé les inquiétudes que représentait le geste pour les programmes qui doivent respecter des règles très strictes pour être accrédités. 

Il a demandé s’il devait désormais mettre dans ses demandes d’agrément que les administrateurs allaient se mêler des admissions à la maitrise. Il rappelle que, par exemple, si son programme perd son agrément, les diplômés ne pourront plus porter le titre de travailleurs sociaux.

«Vous n’avez perdu absolument aucun droit», a répondu Mme Berger. 

Stéphane Richard est aussi revenu sur les exemples de consultations énumérés par Mme Berger, indiquant que plusieurs demandes de discussions étaient restées sans réponse. 

Même si l’intervention de l’administration est contraire aux règles, selon les recherches du Voyageur, elle ne met pas directement en danger l’accréditation du programme d’orthophonie. 

«Mme Berger se mêle de ce qui ne la regarde pas. Ce n’est pas de ses affaires du tout», dit le professeur émérite de l’Université Laurentienne, François Boudreau. «La seule motivation que je vois pour Mme Berger, ce sont les revenus que ça amène à l’Université.»

«Ça contrevient à l’accréditation, mais ils ne vont pas perdre l’accréditation pour ça. Mais disons que la prochaine fois, ça pourrait être souligné», ajoute M. Boudreau, qui a été directeur du programme de service social; il était donc responsable des demandes d’accréditation.

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L’article B.5.1 du Manuel des procédures et des normes du Conseil d’accréditation des programmes universitaires canadiens en audiologie et en orthophonie (CAPUC-AO) précise que : «Le département universitaire est autonome. Le département a, au sein de l’université, un pouvoir administratif clair et distinct sur ses programmes universitaires et cliniques ainsi que sur ses programmes de recherche.» Une preuve claire de la structure de gouvernance interne doit être fournie, précise-t-il.

Une représentante du CAPUC-AO confirme au Voyageur qu’elle y voit davantage un dilemme moral plutôt qu’éthique. Leur vision de l’accréditation est d’évaluer le programme et la capacité du département à le livrer adéquatement. Ils n’accréditent pas l’université, mais plutôt le département. 

Le financement du CNFS est-il à risque?

Santé Canada, qui finance certaines formations universitaires à travers le Consortium national de formation en santé (CNFS), confirme que le volet Laurentienne recevra un total de 7 722 080 $ sur cinq ans par le biais de l’entente 2018-2023. Ce financement appuie plusieurs programmes, dont le baccalauréat et la maitrise en orthophonie.

Lors de ses explications, Marie Josée Berger est revenue sur le financement du CNFS qui, selon elle, pourrait être perdu pour 2023-2028 si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

«Santé Canada, sous son volet de Formation et maintien en poste des professionnels de la santé, offre un soutien aux établissements de formation postsecondaire afin d’accroitre la disponibilité de fournisseurs de services de santé bilingues partout au pays et plus particulièrement dans les régions où les besoins des [communautés de langue officielle en situation minoritaire] sont les plus grands», répond par courriel la conseillère principale des relations avec les médias, direction générale des communications et des affaires publiques du gouvernement du Canada, Anne Génier.

La mesure du rendement est importante dans le programme, poursuit Mme Génier. Cependant, «[c]haque bénéficiaire du Programme pour les langues officielles en santé (PLOS) de Santé Canada doit établir un plan de mesure de rendement incluant des cibles sur les extrants et résultats à atteindre.» L’établissement établit ses propres cibles en se basant sur des études des marchés. 

Mme Génier confirme aussi que la phase de négociation pour l’entente 2023-2028 est en cours avec les bénéficiaires.

Lors de la réunion du Sénat, Michèle Mme Minor-Corriveau ne semblait pas inquiète que l’orthophonie perde le financement du CNFS. Le programme a toujours fonctionné au maximum de sa capacité et a toujours reçu beaucoup de demandes d’admission.