le Vendredi 6 décembre 2024
le Mercredi 20 mars 2024 9:05 Éducation

Entente entre les universités d’Ottawa et de Sudbury : entre espoirs et inquiétudes

Serge Miville, recteur de l’Université de Sudbury.  — Photo : Julien Cayouette – Francopresse
Serge Miville, recteur de l’Université de Sudbury.
Photo : Julien Cayouette – Francopresse
Un protocole d’entente a été conclu entre l’Université de Sudbury et l’Université d’Ottawa, afin de combler les besoins en formation postsecondaire en français dans le Nord de l’Ontario. Sudbury pourra compter sur l’appui d’Ottawa, mais la question du «par et pour» les francophones refait surface.
Entente entre les universités d’Ottawa et de Sudbury : entre espoirs et inquiétudes
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Les deux établissements, accompagnés par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), ont annoncé le 14 mars la mise en œuvre d’un protocole d’entente menant à une offre de cours et de programmes par l’Université de Sudbury dès septembre 2025.

Dans un communiqué de presse signé par les trois partenaires, ils indiquent que cette offre permettra de combler des besoins de programmation et du marché du travail dans le Nord-Est de l’Ontario.

Le protocole n’est qu’une entente pour aller de l’avant avec les négociations, tout reste à déterminer quant aux détails du partenariat. Le recteur et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, a donné quelques pistes en conférence de presse.

Son établissement pourrait partager des ressources, telles que des «technologies pour l’enseignement, pour les systèmes d’étudiants, registrariats, bulletins, inscriptions aux cours, etc. Des technologies aussi pour les bibliothèques, le partage des livres, des livres électroniques, des collections, des périodiques».

Quant à savoir quels programmes pourraient être créés, le recteur de l’Université de Sudbury, Serge Miville, donne un indice en rappelant que l’établissement «a une désignation partielle sous la Loi des services en français [de l’Ontario] qui l’oblige […] à offrir des cours et des programmes qui mènent au baccalauréat des arts».

«Tout ça, c’est sur la table actuellement et on travaille pour voir comment en arriver à un partenariat très fructueux, encore une fois gagnant-gagnant pour l’Université de Sudbury et pour nous qu’ils ne nous appauvrissent pas», dit-il.

Les détails de l’entente seront annoncés dans les prochains mois. En entrevue, M. Frémont rappelle que si l’Université de Sudbury compte accueillir des étudiants en septembre 2025, elle doit pouvoir présenter sa programmation en septembre 2024.

Dans un contexte difficile

Il restera aussi la question du financement à régler. La province a refusé d’investir dans le projet de l’Université de Sudbury en juin 2023. Serge Miville espère que ce partenariat étoffera leur dossier afin de faire une nouvelle demande au gouvernement ontarien.

«C’est une approche novatrice qui sert de modèle pour réaliser des économies d’échelle et augmenter la viabilité du secteur partout en Ontario français», déclare-t-il dans le communiqué.

La nouvelle demande de financement viendra au moment où la viabilité financière des établissements postsecondaires ontariens est remise en question. L’Université d’Ottawa a elle-même annoncé une situation financière difficile à son corps professoral par courriel en janvier 2024.

La professeure de science politique Geneviève Tellier a exprimé sa confusion en entrevue avec Radio-Canada : «On nous dit que ça va être un exercice [budgétaire] difficile, on se demande s’il n’y aura pas des programmes qui vont être coupés ou sérieusement sous-financés. Donc quand ce genre d’institution fait ce genre d’exercice, est-ce qu’elle est capable d’aider une autre institution qui a des problèmes financiers?»

Serge Miville rappelle cependant que ​​«le premier ministre du Canada est quand même venu à l’Université de Sudbury en août 2021 pour promettre au moins 5 millions de dollars pour le “par et pour” dans la région».

Un «recul du par et pour»?

«Il y a presque trois ans jour pour jour, le conseil de gouvernance de l’Université de Sudbury a pris l’audacieuse décision de retourner à ses sources pour redevenir un établissement de langue française du par et pour», a rappelé Serge Miville en conférence de presse, le 14 mars.

Selon lui, le partenariat avec l’Université d’Ottawa se fait «en ce sens». Une affirmation qui ne fait pas l’unanimité.

Sur X, Geneviève Tellier a qualifié l’entente d’un «recul important du “par et pour” les francophones en Ontario». Elle questionne aussi le soutien de l’AFO.

Les défenseurs des premières heures du projet de l’Université de Sudbury restent prudents.

«Pour moi, pour les gens que je représente, il va y avoir de la réticence, il va y avoir du travail à faire pour rassurer les étudiants et leurs parents que l’enfer qu’on a vécu [avec l’Université Laurentienne], on ne la revivra pas», explique France Gélinas, députée provinciale de Nickel Belt, en entrevue avec Francopresse.

À la même inquiétude, Addison Bond, vice-présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) présente à l’annonce, répond «qu’il serait important d’assurer que l’Université de Sudbury maintienne son autonomie, même si on collabore avec une institution qui est bilingue, de quand même préserver cet aspect de francophonie et de langue française comme étant vraiment au cœur de leur projet».

Serge Miville martèle qu’il ne s’agit pas d’une prise de contrôle par l’établissement bilingue. «C’est notre processus de contrôle de la qualité, c’est nos budgets. C’est nous. Ce qui se passe à Ottawa appartient à Ottawa, ce qui se passe à l’Université de Sudbury appartient à l’Université de Sudbury», assure-t-il à Francopresse.

Le directeur général de l’AFO, Peter Hominuk, réitère en conférence de presse que de l’association provinciale préfère l’option des partenariats entre institutions. Selon lui, «la solution évoquée aujourd’hui travaille justement dans cette veine avec la possibilité d’institutions autonomes par et pour les francophones avec la gouvernance locale».

Rappel : «blue-ribbon» et «par et pour»

L’Université d’Ottawa étant une institution bilingue, la question du par et pour a été relevée après la publication du rapport du comité «blue-ribbon» (exploratoire) du gouvernement provincial sur l’éducation postsecondaire.

Celui-ci avait suggéré trois options : fédérer l’Université de l’Ontario français et l’Université de Hearst à l’Université d’Ottawa, les fédérer aux Collège Boréal et Collège La Cité, ou alors mettre en place un réseau intégré ou un consortium favorisant la collaboration entre tous les établissements d’enseignement postsecondaire francophones et bilingues chapeautés par l’Université d’Ottawa.

Le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) avait préféré la troisième option, «à condition que le réseau soit doté d’une gouvernance entièrement francophone et autonome plutôt que chapeauté par une institution bilingue telle que l’Université d’Ottawa».

En novembre 2023, l’AFO a réagi au rapport en insistant sur le «non négociable» du «par et pour» dans la gouvernance du système postsecondaire francophone. L’organisme avait aussi demandé au ministère des Collèges et Universités de revoir ses formules de financement pour mieux outiller les francophones.

Avec les informations de Julien Cayouette