On peut lire dans le budget fédéral que vient de déposer la ministre des Finances, Chrystia Freeland, que «l’accélération de la transition vers la carboneutralité a déclenché une course mondiale pour attirer les investissements à mesure que nos alliés bâtissent leur économie propre».
Et le gouvernement Trudeau n’avait visiblement pas envie d’être largué à l’arrière du peloton.
Ottawa prévoit investir pas moins de 80 milliards $ sur 10 ans pour inciter les entreprises établies en sol canadien à développer des technologies vertes et de l’énergie à faible émission de carbone.
Le gouvernement actuel souhaite faire du Canada une superpuissance énergétique et doubler, voire tripler, la capacité de production d’électricité au pays d’ici 2050 pour répondre aux besoins des industries de pointe qui chercheront encore davantage à réduire leur empreinte carbone.
Des entreprises dans des secteurs cibles, comme l’extraction de minéraux critiques, la filière des batteries ou de leurs composantes et l’industrie automobile, profiteront ainsi de conditions financières privilégiées pour se développer.
Pour parvenir à cette transformation du tissu industriel canadien, le gouvernement offrira surtout des crédits d’impôt et du financement avantageux, notamment par l’entremise de la Banque de l’infrastructure du Canada.
Outre la tarification du carbone, les Libéraux souhaitent éviter de réguler trop étroitement le marché. Ils veulent aussi éviter les subventions directes, quoique le gouvernement a déjà montré sa souplesse en ce sens avec l’implantation de la méga-usine de batteries de Volkswagen en Ontario.
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Un coup de barre nécessaire
Il faut dire qu’un coup de barre s’imposait en raison de la pression venue du sud de la frontière.
Le gouvernement Trudeau a beau s’en défendre, la Reduction Inflation Act, loi phare de l’Administration Biden adoptée à l’été 2022 qui prévoit subventionner les technologies vertes à hauteur de 370 milliards $ américains au cours des 10 prochaines années, risquait de faire pencher la balance en faveur des États-Unis quand viendrait le temps pour les entreprises de choisir où investir.
Dans un contexte géopolitique incertain, où la mondialisation se transforme sous nos yeux et où les puissances occidentales cherchent à rapatrier leurs chaines de production névralgiques plus près de chez elles (et plus loin de la Chine!), il n’est pas étonnant de voir le Canada emboiter le pas aux États-Unis.
L’autre facteur, c’est qu’au rythme actuel, le Canada est loin d’être sûr d’atteindre ses objectifs climatiques à long terme.
Malgré un rapport encourageant à cet effet publié par le ministère de l’Environnement en début d’année, le Canada continue d’avoir une empreinte carbone insoutenable, près de dix fois plus élevée que le niveau nécessaire pour limiter l’augmentation de la température du globe à 1,5 °C.
En misant sur la production d’énergie propre et les technologies vertes, le gouvernement fait le pari du technosolutionnisme. Tout va très bien, Madame la Marquise. Pas besoin de changer nos habitudes de vie, on aura tous une voiture électrique, on enfouira tout ce carbone, et puis hop, le problème sera réglé.
Si la solution proposée par le gouvernement est séduisante dans une optique économique à court et moyen terme, elle ne garantit pas que le Canada réussira à faire sa juste part dans la lutte aux changements climatiques.
Il n’est pas certain non plus qu’elle ait l’effet voulu. Pour profiter de crédits d’impôt, des entreprises doivent être prêtes à investir ici, et l’attrait du géant américain restera certainement fort.
Néanmoins il faut reconnaitre qu’il y a longtemps que le Canada ne s’était pas doté d’une politique industrielle digne de ce nom. Et si le gouvernement fédéral souhaite à terme se défaire de sa dépendance financière aux énergies fossiles, le développement des technologies vertes constitue probablement un pas dans la bonne direction.
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Des finances publiques déficitaires, mais viables
Les finances publiques se sont détériorées depuis la dernière mise à jour économique du gouvernement à l’automne. On y prévoyait un déficit d’un peu plus de 30 milliards $ pour l’exercice financier de 2023-2024. Six mois plus tard, le déficit prévu atteint maintenant 40 milliards $.
Cette dégradation des comptes publics s’explique entre autres par quelques nouvelles dépenses, dont les 7,3 milliards $ ajoutés au nouveau régime canadien de soins dentaires. Ce programme est au cœur de l’entente entre les Libéraux et le NPD et devrait garantir au gouvernement Trudeau l’adoption de son budget aux Communes.
Il y a aussi quelques mesures ciblées, telle la bonification du crédit de TPS pour aider les contribuables les plus pauvres à boucler leurs fins de mois, qui coutera 2,5 milliards $ au gouvernement cette année.
Il faut ajouter à cela l’incertitude économique qui continue de peser lourd dans les comptes du gouvernement. L’augmentation des taux d’intérêt se répercute sur les paiements de la dette, et la croissance anémique prévue en 2023 (à peine 0,3% du produit intérieur brut [PIB]) limitera les revenus.
Pour compenser ces dépenses et ces baisses de revenus, le gouvernement Trudeau fera des compressions dans la fonction publique, qui était en croissance continue depuis son arrivée au pouvoir. Malgré cela, sa marge de manœuvre sera plus mince qu’il y a quelques mois.
Même si le gouvernement ne prévoit plus revenir à budgétaire dans un avenir prévisible, le déficit reste soutenable par rapport à la taille de l’économie canadienne.
Un déficit prévu équivalent à 1,5 % du PIB en 2023 reste enviable. Par exemple, les spécialistes prévoient que le déficit sera de 5,3 % du PIB aux États-Unis et de 5,1 % du PIB au Royaume-Uni en 2023.
L’inflation est en voie de se résorber et aucun analyste ne s’attend à ce que les banques centrales conservent des taux directeurs élevés au-delà de 2023.
La situation économique du gouvernement canadien devrait donc s’améliorer dans les années à venir, mais aujourd’hui sa marge de manœuvre est certainement réduite.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.