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le Jeudi 24 novembre 2022 13:50 Société

Venir à bout de l’itinérance : possible, mais complexe

Avec la COVID-19 et l’inflation, l’itinérance s’est aggravée au Canada. Pour en venir à bout, les acteurs appellent à multiplier la construction de logements sociaux.  — Photo : Jon Tyson
Avec la COVID-19 et l’inflation, l’itinérance s’est aggravée au Canada. Pour en venir à bout, les acteurs appellent à multiplier la construction de logements sociaux.
Photo : Jon Tyson
Combien y a-t-il de sans-abris au Canada? Difficile à dire puisqu’il n’y a aucun chiffre précis et récent. Mais selon des experts, la pandémie de COVID-19, couplée à une inflation galopante et à une crise du logement sans précédent, a fait basculer de nombreuses personnes dans la rue. Venir à bout de l’itinérance reste réalisable, à condition d’investir massivement dans le logement social. Francopresse a rencontré des spécialistes pour en discuter.
Venir à bout de l’itinérance : possible, mais complexe
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Avec la crise sanitaire et la flambée du cout de la vie, le visage de litinérance est en train de changer au Canada. De plus en plus de familles se retrouvent sans toit. Si les causes sont multiples, le manque de logement abordable est épinglé par tous les experts interrogés. À leurs yeux, éliminer litinérance reste possible, si les ressources nécessaires sont affectées à la construction et à la mise à disposition immédiate de logements sociaux. 

  • Combien ditinérants vivent au Canada? 

Les chiffres récents font défaut. Le président-directeur général de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance au Canada (ACMFI), Tim Richter, avance qu’environ 235 000 personnes nont pas de domicile au cours d’une année donnée. Elles dorment dans la rue, en hébergement durgence ou en logement de transition.

Au cours dune nuit donnée, de 25 000 à 35 000 personnes se trouveraient en situation ditinérance. Ces chiffres sont le résultat du dénombrement ponctuel Tout le monde compte, coordonné par Ottawa en 2018 dans 61 communautés des quatre coins du pays. Un nouveau décompte mené par des milliers de bénévoles est en cours cet automne.

 

Tim Richter est président-directeur général de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance au Canada. 

Photo : Courtoisie

«Cest incomplet. Le nombre réel est potentiellement bien plus élevé. On manque de données nationales fiables», regrette Tim Richter.

«Nous ne faisons pas un travail très rigoureux pour mesurer lampleur du phénomène. Les méthodes de recensement changent selon les villes», soulève le consultant en politiques publiques et chercheur spécialisé en logement abordable et en itinérance, Nick Falvo, qui travaille depuis des années sur la question

Quels que soient les chiffres avancés, «la COVID-19 et le renchérissement du cout de la vie ont conduit de nouveaux Canadiens à la rue», assure Nick Falvo. «Le nombre de sans-abris augmente aux quatre coins du pays», renchérit Tim Richter.  

Selon une étude de l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary, une augmentation de 1 % de linflation est susceptible de causer une hausse de 2 % de litinérance. Entre février 2020 et mars 2022, lACMFI a de son côté observé un bond de 70 % de litinérance chronique (quand une personne passe au moins six mois dans la rue durant une année) au sein de 19 communautés auprès desquelles elle a recueilli des données.

Tim Aubry est professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. 

Photo : Courtoisie
  • Qui sont les personnes sans-abris?

Travailleur pauvre, jeune en rupture familiale, personne souffrant de maladies psychiques ou de dépendances, ancien combattant, famille expulsée de son logement, cette population est avant tout marquée par une infinie diversité de situations et de parcours.

Il existe toutefois des points communs. «Il y a toujours une fracture, une crise personnelle qui les rend éminemment vulnérables et les fait basculer dans une pauvreté extrême, accompagnée dun grand isolement social», constate le professeur titulaire à l’École de psychologie de lUniversité dOttawa, Tim Aubry. 

On sait que la majorité des sans-abris sont des hommes célibataires, âgés de 25 à 49 ans. Les Autochtones sont également surreprésentés. «Un homme autochtone est onze fois plus à risque dutiliser un refuge durgence quune personne non autochtone. Une femme autochtone, cest quinze fois plus», rapporte Tim Richter. 

Les 13-24 ans constituent 13 % des itinérants et, au sein de ce groupe, les minorités sexuelles et les jeunes qui sont passés par le système de protection de lenfance sont surreprésentés.

La pandémie et linflation galopante sont en train de changer le visage de litinérance. «Avec la hausse sans précédent des loyers, des familles à faible revenu, déjà fragilisées par la COVID-19, finissent par perdre leur logement», se désole Nick Falvo. 

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  • Pourquoi se retrouve-t-on sans un toit? 

Tous les spécialistes interrogés s’entendent pour dire que le manque de logement social est en cause. «Depuis la fin des années 1980, les gouvernements ont cessé dinvestir dans le secteur. On se retrouve avec une crise du logement sans précédent», affirme Tim Richter. Il donne lexemple du Nouveau-Brunswick qui, jusquau mois doctobre dernier, n’avait pas construit de logements sociaux en près de 40 ans.

Le président de lACMFI juge que la Stratégie nationale sur le logement, lancée en 2017, nest pas assez ambitieuse : «Malgré les milliards annoncés, on perd quatre fois plus de logements abordables au Canada chaque année que lon en crée et l’écart ne cesse de se creuser.»

Tim Richter estime quil faudrait construire 350 000 nouveaux logements abordables, loin des 42 548 financés pour le moment par Ottawa. Il pointe par ailleurs linsuffisance de l’aide sociale, administrée par les provinces, qui n’est pas indexée à linflation.

De son côté, Nick Falvo évoque le «racisme systémique, le colonialisme, lhomophobie et la transphobie». Au-delà de ces facteurs structuraux, certaines raisons individuelles peuvent entrer en ligne de compte, comme des problèmes de santé mentale ou daccoutumance ou des évènements traumatisants (éclatement de la famille, violence familiale, etc.).  

  • Mettre fin à litinérance, est-ce réalisable? 

Les interlocuteurs interrogés sont unanimes : pour éradiquer litinérance, les stratégies ne doivent pas se limiter à des réponses durgence, elles doivent avant tout sattaquer aux causes structurelles.

«On se contente de soigner les problèmes de dépendance ou de santé mentale des itinérants dans des refuges, car on considère quils ne sont pas prêts à sortir de la rue», déplore Tim Aubry. Pour luniversitaire, il faut revoir le système dhébergement temporaire nuit par nuit et mettre immédiatement à disposition des sans-abris des logements stables et à long terme. 

«Avec un accompagnement social pour les aider à se reconstruire pas à pas, car si on les met simplement dans un logement, beaucoup rechuteront», précise-t-il, évoquant des aides psychologiques ou administratives pour rechercher un emploi.

En Alberta, la ville de Medicine Hat est la première au pays à avoir éliminé litinérance chronique grâce à cette approche dite du «Logement dabord». «Cest un exemple à suivre, mais le défi va être de maintenir cette situation dans la durée», réagit Tim Richter. LACMFI travaille actuellement avec 33 villes, notamment Moncton, qui a connu une baisse de 10 % du nombre ditinérants chroniques grâce au modèle de Medicine Hat. 

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Lapproche «Logement dabord» est présente dans le programme. En aout dernier, Ottawa a dailleurs presque doublé ses investissements, avec lobjectif de réduire de moitié litinérance chronique dici 2028. 

Tim Aubry nest pourtant pas convaincu : «Les provinces et les municipalités décident de lutilisation de largent fédéral, sans aucune obligation dinvestir dans le logement.»

Nick Falvo est consultant en politiques publiques et chercheur spécialisé en logement abordable et en itinérance. 

Photo : Courtoisie

Les experts soulignent la nécessité pour les gouvernements provinciaux et fédéral de travailler main dans la main avec les autorités municipales. Les villes, qui décident de laménagement du territoire et coordonnent les initiatives locales, ont un «rôle de premier plan à jouer», souligne Nick Falvo. 

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  • Entre ville et campagne, quelles différences? 

«Litinérance en campagne est largement invisible. Les gens vivent une misère un peu cachée», observe Tim Richter.

Les travailleurs sociaux en zone rurale font cependant face à un accroissement des demandes de personnes en situation dexclusion, selon Tim Aubry. À ce titre, le manque de ressources pour soutenir les plus démunis constitue un défi de taille.

«Les sans-abris finissent par sinstaller dans les grands centres urbains où les services sont plus présents. Cest particulièrement vrai pour les Autochtones qui préfèrent quitter leurs communautés isolées», explique Tim Aubry.