le Mardi 15 octobre 2024
le Lundi 18 Décembre 2023 6:30 Arts et culture

Une toile géante et des mots pour les ancêtres autochtones à la PdA

Connor Lafortune devant sa création Pour tout ce que tu n’oses pas dire. — Photo : Mehdi Mehenni
Connor Lafortune devant sa création Pour tout ce que tu n’oses pas dire.
Photo : Mehdi Mehenni
Dokis-Sudbury — Le jeune artiste anichinabé, Connor Lafortune, a impressionné son public par la profondeur de sa poésie à la Place des Arts du Grand Sudbury (PdA). C’était à l’occasion de l’ouverture de sa première exposition en solo le jeudi 7 décembre, Pour tout ce que tu n’oses pas dire. Une toile géante, accrochée au mur principal, retrace le parcours de ses ancêtres. Elle y demeurera jusqu’au 27 janvier 2024.
Une toile géante et des mots pour les ancêtres autochtones à la PdA
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Cela fait un peu plus de quatre ans que Connor Lafortune a posé ses valises à Sudbury pour étudier à l’Université Laurentienne. Artiste multidisciplinaire, il joue de la musique, mais il manie surtout le perlage et la poésie de l’oralité. Le jeune Anichinabé, queer et francophone, vient de la Première Nation Dokis, près de Rivière des Français. Il a à peine 22 ans et il est titulaire de deux bacs, un en études autochtones et un en études de races et de genres. Il poursuit actuellement une maitrise en relations autochtones. 

Photo : Mehdi Mehenni

Connor Lafortune a grandi dans les bois. Il dit vouloir retourner dans la forêt aussitôt que ses études sont achevées. «Je n’aime pas la vie dans les villes», lance-t-il. 

Le perlage, il le tient de son arrière-grand-mère Sherly Dokis, toujours en vie. Mais c’est son arrière-grand-père qui l’inspire. Il l’appelle grand-père, parce que la notion d’arrière-grand-père n’existe pas dans sa culture, dit-il. 

Léonard Dokis était fabricant de canots d’écorce et Connor Lafortune l’a connu jusqu’à l’âge de 9 ans. Son plus grand regret est de n’avoir jamais pu l’accompagner sur un canot, le long des rivières de l’Est de l’Ontario. En marchant dans la forêt par contre, il pense souvent à lui.

Il s’adressait d’ailleurs à lui dans la salle, oubliant un instant la présence du public, au moment de déclamer son poème : «Je faisais semblant que j’étais un chasseur, à chaque fois que je marchais sans écraser des branches dans la forêt, en sachant que parfois être silencieux est une sorte de médecine aussi…».

Des pas sur la toile 

Deux cadres portant des poèmes de Connor Lafortune sont accrochés au mur de la PdA, faisant face au bistro. Tout juste à côté de la toile géante mesurant 15 sur 12 pieds. 

L’artiste a utilisé ses pieds trempés de peintures tour à tour jaune, rouge, blanche et noire, à forte teneur symbolique et représentant le cercle de médecine, pour laisser des traces sur la toile. 

«Cela représente les traces des ancêtres qui sont derrière nous, nos traces du présent et celles que nous laisserons pour les générations futures», commente-t-il. 

Les traces qui sont derrière Connor Lafortune sont surtout rattachées à son ancêtre et fondateur de la nation Dokis, Michel Dokis, dit l’Aigle. Il a été l’un des signataires du Traité Robinson-Huron de 1850. Il a dirigé sa communauté jusqu’à sa mort en 1906.

Sur la toile est accrochée une feuille de tabac, symbolisant la purification par la fumée, une écorce de bouleau, un tissu pour porter la pratique artistique sur son dos et des devants de mocassins faits de cuir, pour symboliser le chemin qui mène vers la communauté. Aussi, un tambour représentant le cœur de la nation, la famille et la responsabilité.

De petits passages de poèmes sont reproduits ici et là : «Nous ne voyions pas le monde de la même façon. Je m’agenouillais à l’entrainement, tu t’agenouillais sur les bancs de l’église. On nous disait de nous taire à propos de tout ce qui était autochtone».

Ce n’est qu’à la veille de l’exposition, que la direction de la PdA a pu prendre connaissance de l’œuvre dans sa complétude. 

«Nous avions vu quelques pièces et morceaux, mais pas l’œuvre entière», affirme le directeur général de la PdA, Jean-Gilles Pelletier. «Nous ne lui avons dicté aucune direction à prendre. De même que nous ne lui avons fixé aucune limite.»

Suzanne Rondeau

Photo : Mehdi Mehenni

Il faut dire que les yeux de Jean-Gilles Pelletier étaient constamment rivés sur la toile. Il n’a pas d’ailleurs pu s’empêcher de mesurer la grandeur de l’œuvre à la grandeur de la Place des Arts. «Regardez comment elle est mouillée au mur, à croire qu’elle en a toujours fait partie…». 

La Place des Arts a approché Connor Lafortune pour lui offrir sa première exposition en solo. Il avait déjà collaboré avec la Galerie du Nouvel-Ontario, mais c’était dans le cadre d’expositions collectives. Il était, par contre, connu dans des cercles de la ville pour sa poésie orale, assure M. Pelletier.

Un lien à travers les générations 

Suzanne Rondeau avait déjà entendu parler de l’artiste, mais elle ne le connaissait pas vraiment. C’est l’intitulé de l’exposition qui l’a attiré. 

«Je me suis dis, là, il faut vraiment que j’aille voir et m’immerger dans ce qu’il a vécu. Les gens des Premières Nations ont une belle sagesse. Une belle façon d’entrevoir la vie. Nous devrions adopter davantage leur philosophie de la vie et leur rapport à la nature», indique-t-elle. 

Solange et Laurent Vaillancourt

Photo : Mehdi Mehenni

La poésie de Connor Lafortune a marqué Suzanne Rondeau. Le lien qu’il tisse à travers les générations de sa Nation, par le pouvoir des mots. «Cela nous renvoie tout le mal que nous avons fait aux Premières Nations, pour empêcher l’expression de leur culture…», regrette-t-elle. 

Solange Vaillancourt vient de Hearst. Elle est artiste et a été professeure d’arts visuels au secondaire, dans les années 1970. Elle était à Sudbury pour seulement quelques jours. La dernière fois qu’elle était venue, c’était il y a 25 ans. Elle accompagne son frère, l’artiste visuel multidisciplinaire Laurent Vaillancourt. 

«Nous avons entendu parler de l’exposition à Radio-Canada, pendant que nous étions sur la route. C’est la première fois aussi que nous visitons la Place des Arts. J’aime beaucoup la culture autochtone. La poésie de Connor Lafortune, que je ne connaissais pas, me fait rappeler le roman de Michel Jean, Kukum (lauréat du Prix littéraire France-Québec 2020)», a-t-elle souligné. 

Diane Labelle et son amie Corinne Pastoret

Photo : Mehdi Mehenni

L’artiste, son public et les organisateurs étaient partis lorsque Diane Labelle et son amie Corinne Pastoret s’attardaient encore devant la toile géante. Seuls les employés du Bistro étaient encore présents. 

«Peu importe que ce soit une photo, une carte postale, le nom d’une rue, le nom d’une école, il faut laisser sa trace dans la vie. Et Connor Lafortune le fait bien. Les traces de ses pas sur la toile me parlent. Ce n’est pas seulement physique. Ça contient des valeurs», lance Diane Labelle. 

Corinne Pastoret a elle aussi son interprétation des pas imprimés sur la toile : «Je vois les pas comme les différents chemins que nous aurions pu suivre dans notre vie ou comme les différentes vies que nous aurions pu avoir. Toutes avec des couleurs différentes, comme on aurait pu être heureux ou malheureux dans sa vie…».