le Lundi 17 février 2025
le Samedi 17 février 2024 12:49 Francophonie

«Le patrimoine donne une légitimité aux revendications franco-ontariennes»

Diego Elizondo, directeur général de l'ACFO Ottawa. — Photo : Courtoisie
Diego Elizondo, directeur général de l'ACFO Ottawa.
Photo : Courtoisie
Originaire d'Orléans, Diego Elizondo s'implique bénévolement et travaille dans le secteur patrimonial franco-ontarien depuis son adolescence. Des articles publiés, des conférences publiques, des visites guidées et des prises de position dans les médias ont marqué son implication communautaire et patrimoniale. Il a cofondé la Société franco-ontarienne du patrimoine et de l'histoire d'Orléans (SFOPHO) et a longtemps travaillé au Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO). Il est nouvellement coordonnateur du magazine patrimonial franco-ontarien Le Chaînon et directeur général de l'ACFO Ottawa. Dans cet entretien, il fait part de ses inquiétudes quant au devenir du patrimoine franco-ontarien.
«Le patrimoine donne une légitimité aux revendications franco-ontariennes»
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Le Voyageur :  Nous évoquons peu ou occasionnellement la question du patrimoine. À quoi cela est dû, à votre avis ?

Diego Elizondo : Je pense que plusieurs ignorent que le patrimoine est un élément de notre culture. Quand les gens pensent à la culture, ils pensent au théâtre, à la musique et à la littérature, qui font certes partie de la culture, mais qui sont aussi des formes d’expressions artistiques. Parce qu’il est niche et mal diffusé, le patrimoine franco-ontarien est quelque chose de mystérieux pour plusieurs qui s’y méprennent en pensant que le patrimoine est une activité pour personnes âgées.

Est-ce que ce n’est pas en raison des défis de tous les jours que connaît la francophonie ontarienne, entre manques de services en français, santé, éducation, logements… que la question du patrimoine est devenue secondaire, avec le temps ?

Je pense que comme tous les aspects de la culture, dans chaque société, le patrimoine n’est malheureusement pas souvent une priorité. Il est aussi méconnu, ce qui n’aide pas à sa préservation et cela en fait un enjeu souvent secondaire.

Pourquoi, justement, c’est important de parler du patrimoine et de le perpétuer ?

C’est important d’en parler pour mieux le connaître et pour mieux l’apprécier. Le patrimoine franco-ontarien est une manifestation de notre identité et de la place qu’on occupe dans cette province. De façon tangible, perpétuer le patrimoine c’est un symbole de la longévité et de la ténacité de notre présence. À quoi bon répéter que la francophonie ontarienne est vieille de plus de 400 ans s’il n’y a plus d’exemple pour le démontrer ? Je pense aussi que la base de la légitimité des revendications franco-ontariennes provient de l’histoire, c’est ce qui nous distingue par rapport à d’autres minorités linguistiques. C’est donc important de parler et de perpétuer le patrimoine, qui est en quelque sorte des traces de l’histoire. C’est cliché, mais pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient.

Question à la fois simple et complexe : qu’est-ce que le patrimoine ? On parle souvent de patrimoine musical, théâtral… est-ce qu’il y a des aspects oubliés du patrimoine ?

Véritable témoin et symbole d’enrichissement profond et durable, le patrimoine franco-ontarien est multiple et émane de différents secteurs d’activité. Patrimoine bâti, patrimoine religieux, patrimoine scolaire, patrimoine archivistique, patrimoine architectural, patrimoine naturel et même patrimoine immatériel sont autant d’exemples des nombreuses déclinaisons du patrimoine franco-ontarien.

J’aime dire que toute l’expérience humaine a le potentiel d’être patrimoniale. Ainsi, quand quelqu’un me dit qu’il n’aime pas le patrimoine, j’ai de la difficulté à le comprendre, car il y a assurément une activité, une passion qui l’anime. Par exemple, si quelqu’un aime cuisiner, le patrimoine culinaire existe. 

Personnellement, j’ai toujours eu un grand intérêt pour le patrimoine scolaire, entre autres. Je suis par contre surpris pour une communauté comme la nôtre où l’école a toujours joué un rôle central et névralgique que c’est un aspect quelque peu oublié quand on pense à notre patrimoine. 

Est-ce que le patrimoine franco-ontarien a une identité particulière qui le distingue des patrimoines des autres communautés canadiennes-françaises et qu’est-ce qui le distingue, si c’est le cas ?

Le patrimoine franco-ontarien est intimement lié à l’identité et à l’histoire franco-ontarienne comme telle. Il peut avoir des points communs avec d’autres communautés francophones au pays (pensons au rôle central que l’Église a occupé partout), mais le patrimoine est quelque chose qui est foncièrement enraciné dans son milieu. Le patrimoine franco-ontarien se distingue des autres patrimoines au même titre que l’identité franco-ontarienne est unique. C’est une expérience différente.

Est-ce que le patrimoine évolue et comment s’adapte-t-il aux exigences du temps, des générations, de la modernité ? Peut-on d’ailleurs parler d’adaptation ou de transformation ou peut-être des deux, dans ce cas-là ?

Le patrimoine évolue certainement avec le passage du temps. Le patrimoine moderne, par exemple, c’est-à-dire le patrimoine de l’après-guerre des années 1950, 1960, 1970 se taille de plus en plus une place dans la conception du patrimoine. On dit qu’une génération correspond grosso modo à 20 ans et que ça en prend deux, donc 40 ans, avant de pouvoir considérer que quelque chose est patrimonial ou pas. Mon regard d’une personne âgée de 30 ans diffère certainement d’une personne qui a le double de mon âge dans ce que je considère patrimonial même s’il y a des points communs avec le choix des anciennes générations.

Est-ce qu’en Ontario, l’anglais a une influence sur le patrimoine oral des Franco-Ontariens ?

Je dirai que c’est plus une question de linguistique que de patrimoine. 

Est-ce que vous êtes inquiet ou plutôt rassuré sur le devenir du patrimoine franco-ontarien ?

Je suis très inquiet. Les défis sont très nombreux et il n’y a ni ressources, ni relève, ni grand intérêt. C’est un secteur qui est aussi sous-financé. Le patrimoine est aussi un domaine assez niche et les conditions ne sont pas intéressantes pour les jeunes qui songent à s’y impliquer ou à travailler dans le domaine. Les gens ne réalisent peut-être pas, mais la défense du patrimoine repose en très grande partie sur des bénévoles, lesquels sont souvent composés de personnes âgées.

L’histoire et le patrimoine sont mal connus en Ontario français et il y a peu d’intérêt chez la masse. J’ajoute que le grand capital sera toujours favorisé dans la lutte entre la protection et la démolition du patrimoine et que l’État adopte souvent des Lois qui ne favorisent pas la protection du patrimoine. La loi omnibus 23 du gouvernement de l’Ontario en est un exemple manifeste.

Il y a aussi peu d’incitatifs pour encourager la préservation du patrimoine, plutôt que d’avoir le réflexe de la démolition. Dans les années à venir (et c’est déjà commencé) on va devoir se préoccuper du sort des églises et des grands ensembles conventuels. Ça sera un défi énorme, avec des choix déchirants et qui va reposer sur la volonté de quelques individus qui vont ressentir l’envie et l’urgence de s’impliquer. La préservation du patrimoine, c’est un combat constant avec David contre Goliath mené avec très peu de moyens. Pour survivre, le patrimoine franco-ontarien aura donc besoin de tous les alliés possibles.