le Lundi 17 février 2025
le Dimanche 18 février 2024 6:45 Francophonie

Danielle Coulombe, jusqu’au bout de… l’histoire !

Danielle Coulombe, professeure d’histoire à l’Université de Hearst, lauréate du Prix Michel-Prévost 2024.
 — Photo : Courtoisie
Danielle Coulombe, professeure d’histoire à l’Université de Hearst, lauréate du Prix Michel-Prévost 2024.
Photo : Courtoisie
Danielle Coulombe est la lauréate du Prix Michel-Prévost 2024. Il lui a été décerné le 1 février par le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO), pour son article «Une grève, une fusillade et des accusations en 1963», publié à l’été 2023 dans le magazine le Chaînon. Dans ce portrait, la professeure en histoire, qui a également été vice-rectrice de l’Université de Hearst, revient sur son enfance, son parcours et son travail de recherche qui l’a mené à écrire sur les évènements douloureux de Reesor Siding.
Danielle Coulombe, jusqu’au bout de… l’histoire !
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Enfant, Danielle Coulombe se laissait emporter par les contes de sa mère. Dolorès Rancourt Coulombe avait plus d’une histoire dans son baluchon sur la communauté francophone et celle autochtone de la région de Hearts-Kapuskaising. 

Son village natal avait déjà quelque chose de passionnant qui a fini par la mettre sur les rails d’une vocation d’historienne. Mattice a été fondé après le passage du train dans la région, à partir de 1912.

Ses grands-parents font partie des premières familles à s’installer à Mattice. C’était autour des années 1920. Son père Réal Coulombe travaillait dans la forêt et avait lui aussi des histoires à raconter. Réal Coulombe est né à Mattice, à l’époque où les accouchements se faisaient à la maison. Sa mère est arrivée à l’âge de quatre ans du Québec. La famille de son père est, elle aussi, venue du Québec.

«Les histoires que nous racontait ma mère étaient très reliées à l’arrivée de sa famille et à l’évolution du village. Ma mère était très avant-gardiste, pour l’époque. Elle était très ouverte sur la société autochtone. Elle prenait toujours leur défense», note-t-elle

Rendue à l’école, l’intérêt de Danielle Coulombe pour l’histoire s’est davantage développé. «Lorsque j’étais en 5e année, j’avais une fascination pour l’explorateur Marco Polo. Quand notre enseignante l’évoquait en classe de cours, je cachais mon intérêt pour le sujet de peur d’être jugée par mes camarades qui trouvaient cela plate», se souvient-elle. 

Danielle Coulombe obtient son baccalauréat en histoire en 1974, à l’Université de Hearst. En 1981, elle obtient sa maitrise dont la thèse porte sur «La femme des années 1930 : une image dans Châtelaine et les pages féminines du Country Guide et de la Revue Moderne».

Suivra sa thèse de doctorat en 1997, intitulée «Coloniser et enseigner — Le rôle du clergé et la contribution des Soeurs de Notre-Dame du Perpétuel Secours à Hearst 1917-1942».

Contexte régional 

Danielle Coulombe explique que le terme «coloniser» n’avait pas à l’époque la connotation qu’il peut revêtir aujourd’hui. De ce fait, elle assure que l’Église Catholique encourageait ce mouvement de colonisation, dans une logique de : «la langue, gardienne de la foi, la foi, gardienne de la langue» au Canada français.

«On parlait d’ultramontanisme à ce moment-là comme idéologie. C’était pour la survie de la langue et de la foi. On se sentait menacés. C’est un phénomène qui est encore existant, mais à d’autres niveaux, aujourd’hui», souligne-t-elle. 

Danielle Coulombe rappelle que la vocation supérieure des Canadiens français, à cette époque, était de devenir des agriculteurs. «Sauf que le nord de l’Ontario n’était pas très propice à l’agriculture. Les colons venaient parce qu’il y avait de la forêt. Ils étaient des bucherons. Les conditions de travail et les salaires étaient meilleurs qu’au Québec, aussi».

Selon elle, «les Canadiens français, qui s’installaient sur ces terres, coupaient le bois, faisaient un peu d’agriculture sur les terres défrichées, tout en continuant l’hiver à aller travailler en forêt. C’est un système que les historiens ont qualifié d’agroforestier».  

C’est cette séquence de l’histoire des Canadiens français dans le Nord de l’Ontario qui a mené la lauréate du Prix Michel-Prévost 2024 sur les chemins des évènements de Reesor Siding. 

Préserver la mémoire de la région

La passion que nourrissait Danielle Coulombe à l’égard de l’histoire régionale a été pendant plusieurs décennies confrontée à un obstacle majeur : la documentation. 

«Il ne faut pas oublier que cette région représente pour nous un pays nouveau qui remonte à 100 ans environ. Il y avait des gens et des institutions qui conservaient des documents, mais beaucoup de ces documents se sont perdus avec le temps. Pour les documents qui existaient encore, ils n’étaient pas accessibles, parce qu’ils n’étaient pas organisés dans un centre d’archives où les chercheurs peuvent se rendre pour les consulter », indique-t-elle.  

C’est de là que lui est venue l’idée, à partir de 2005, de fonder le Centre d’archives de la Grande Zone argileuse, abrité par l’Université de Hearst. Son ouverture officielle a eu lieu en 2015. 

Le Syndicat des bucherons et des employés de scieries, aujourd’hui affilié au syndicat United Steelworkers of America (les Métallos d’Amérique), a remis ses archives, à l’occasion, au même titre que d’autres organismes. 

En 2018, Danielle Coulombe avait été sollicitée pour enseigner le volet historique d’un cours nommé «Les évènements de Reesor Siding». Ce qui lui a permis de plonger une première fois dans les archives de la fusillade qui a fait trois morts et huit blessés parmi les bûcherons grévistes et non syndiqués de Reesor Siding, en 1963.

La découverte 

Mais c’est finalement au printemps 2023 que l’historienne a pu scruter de plus près les archives du Centre pour produire un long article pour le magazine Le Chainon, paru en juin 2023 (voir en page 3 l’article Une grève, une fusillade et des accusations en 1963).

 . La découverte est surprenante : il n’y a pas eu de procès à proprement dit. «Il y a eu une enquête préliminaire dans un cadre qu’on appelle le système de grands jurys. Les enquêtes préliminaires existent toujours dans le système judiciaire ontarien. Mais le système de grands jurys a été aboli», affirme-t-elle.  

Pour Danielle Coulombe, il est clair que justice n’a pas été faite. « Je suis toujours à la recherche de documents qui vont nous donner plus de renseignements à ce sujet».

Pour l’heure, l’historienne savoure son accomplissement. Elle avoue qu’elle était surprise d’apprendre, au moment de la cérémonie de remise du prix,  le 1er février dernier, que c’est son travail qui a été primé. 

«Je savais que j’étais nominée, mais il y avait, en même temps, plein d’autres articles de qualité. J’étais un peu surprise», confie-t-elle. 

L’historienne affirme avoir reçu de nombreux messages de félicitation de la part des membres de sa famille, de ses amis et de ses collègues à l’université. La communauté de Hearst-Kapuskasing lui sera certainement reconnaissante pour la lumière qu’elle a ainsi jeté sur un épisode marquant de l’histoire de la région.