Je croisais bien sûr les jeunes issus de cette communauté dans mes cours à l’Université de Sudbury où j’enseignais en français. Mon appartenance au milieu francophone se traduisait aussi par le choix d’inscrire mes enfants à l’École Jeanne Sauvé. Et quand je suis devenu «citoyen de la Vallée» en 1996, ils ont fréquenté diverses écoles francophones de cette zone du Grand Sudbury. Je savais aussi qu’une question opposait de longue date les Franco-Ontariens aux jésuites qui gouvernaient alors l’université qui m’employait : une charte capable de faciliter la création d’une université francophone. Tout a changé dès que je me suis mis à publier des romans à Prise de parole. Cela m’a garanti une intégration dans la communauté franco-ontarienne que je n’avais pas envisagée auparavant. Ce fut comme si la publication de mon premier roman constituait un point de rupture à partir duquel il y aurait un avant et un après dans ma relation avec les Franco-Ontariens.
Mais à y regarder de près, je me rends compte que cette impression de rupture masque des éléments de continuité, des constantes comme celle-ci : aussi loin que vont mes souvenirs à l’Université de Sudbury, le lever du drapeau franco-ontarien a été un rendez-vous annuel que j’ai rarement manqué. Longtemps avant l’instauration de la Journée des Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes par l’Assemblée Législative en 2010, le lever du drapeau était déjà un événement rassembleur puisque le 25 septembre de cette année, on fêtera sa quarante-neuvième édition. Au cours des premières années de ma présence ici, je répondais aux convocations conjointes de l’Université de Sudbury et de l’ACFO par devoir et par curiosité. Ensuite, avec le passage des années, je m’y rendais par plaisir, sachant que j’y rencontrerais des collègues et amis franco-ontariens, comme Gaëtan Gervais, l’inventeur du drapeau ; comme Donald Dennie, qui m’a souvent prêté secours lors des réunions «bilingues» de la Faculté des Humanités où je devais défendre les dossiers de mon département sans maîtriser l’anglais, la langue nettement dominante dans ces rencontres; comme le jésuite Ron Perron qui, dès mes premiers jours à l’Université de Sudbury, m’a accueilli avec une bienveillance qui ne s’est jamais démentie par la suite. Et, depuis vingt ans, je vais à cette fête parce que je sais que mes amis de Radio-Canada et du journal Le voyageur seront de la partie. Puis, depuis peu, j’y croise aussi certains de nos vaillants combattants de la culture regroupés à la Place des Arts.
L’an prochain, à l’occasion du jubilé de 50 ans du lever de notre beau drapeau, alors que les objections des jésuites à la naissance d’une université francophone ne sont plus que des souvenirs d’un passé révolu, espérons que le gouvernement provincial nous fera la surprise de dénouer les cordons de la bourse pour permettre à l’Université de Sudbury de fonctionner. Espérons que ce gouvernement entendra enfin le refrain que nous entonnons à notre tour, comme les générations qui nous ont précédé et qui ont conquis de haute lutte le droit de gérer leurs écoles primaires et secondaires : Laisse aller mon peuple! Et désormais, avec les descendants des premiers Francophones d’Amérique, la tribu francophone comprend des personnes venues de tous les coins de l’horizon et nous avons tous les accents de la francophonie mondiale.