Le projet de cette étude réalisée sous la direction de Serge Miville, actuel recteur de l’Université de Sudbury et de Michel Bock, professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université d’Ottawa, remonte à 2017. Des étudiants y ont pris part.
«On a tiré les étudiants vers le haut, on les a mis au défi de produire du savoir nouveau sur l’histoire locale», a souligné Serge Miville.
«On a demandé à nos étudiants de travailler sur la presse franco-ontarienne. Ils ont produit de bons travaux. Et on s’est dit, pourquoi ne pas leur donner l’occasion de retravailler leurs textes scientifiques selon les exigences et de les réunir sous forme de livres» a complété Michel Bock.
Les deux historiens indiquent qu’ils ont orienté leurs étudiants pour qu’ils produisent «des études sans complaisance, ce qui pourrait peut-être ne pas nécessairement plaire à tout le monde, mais on voulait que chacun s’impose une rigueur historique», a ajouté M. Bock.
Serge Miville et Michel Bock y ont contribué en rédigeant quelques textes, mais aussi Rachel Desaulniers, qui a publié des articles au Voyageur lorsqu’elle avait 18 ans, a été la pierre angulaire pour la production de l’ouvrage.
«En 2015, Émile Guy [fondateur du Voyageur en 1968] m’a contactée pour me dire que Le Voyageur allait fêter son 50e anniversaire en 2018 et qu’on devrait faire quelque chose», a déclaré Mme Desaulniers.
«Ainsi, pendant deux ans, je me rendais sur les lieux du Voyageur, au sous-sol, dans la poussière et les archives, pour feuilleter les journaux de 1970 à 2016. Ça valait la peine de se dévouer pour sa communauté», a-t-elle fait savoir.
Serge Miville a expliqué que, globalement, les études publiées dans ce recueil permettent, au-delà de l’histoire de la presse en tant que telle, de pénétrer au cœur de l’histoire franco-ontarienne.
Une remise en question
Selon Serge Miville, dans toute société démocratique, le journal est un pilier, «une institution qui permet de rassembler les gens autour d’une publication, en même temps qu’elle permet un truchement à partir duquel on peut débattre». Le Voyageur n’a pas manqué à ce rôle.
« Il y a eu des débats dans Le Voyageur et les gens n’étaient pas toujours d’accord avec ce qui était écrit dans les pages du Voyageurs», fait remarquer M. Miville.
Il a mentionné que le Voyageur a toujours porté un œil critique sur ce qu’on faisait.
«On n’aime peut-être pas toujours ça, surtout quand on dirige un établissement, de voir une critique par rapport à ce qu’on fait, mais c’est fondamentalement nécessaire», dit-il.
Son collègue Bock reconnait aussi que Le Voyageur a été «le lieu d’une tension, de plusieurs tensions intellectuelles et idéologiques. Ça a été un organe nécessaire, mais aussi contesté, parfois très fortement».
«Quand il y a des crises, des moments où les citoyens veulent prendre la parole, il nous faut des tribunes, il nous faut des lieux où s’exprimer, collectivement et individuellement. Le Voyageur a rempli cette fonction », a indiqué Michel Bock.
Le journal a traité des sujets variés dont ceux en rapport avec la foi, aux institutions catholiques sans oublier les questions du syndicalisme et les conflits de travail.
«Ce qui est intéressant, c’est que les lecteurs ont écrit à partir d’une perspective franco-ontarienne. Celle-ci permet de nommer notre société et de contribuer à la créer», s’est félicité Serge Miville.
Le Voyageur a joué un rôle important dans les communautés nord-ontariennes en informant les gens.
Si un événement sportif ou autre ne se trouvait pas dans les colonnes du Voyageur, il restait inconnu des membres de la communauté, selon M. Miville.
Pour la crise à l’Université Laurentienne en 2021, aussi. «Si Le Voyageur n’avait pas été là pour créer du lien au sein de la communauté, je crois que les efforts de mobilisation auraient été beaucoup moins significatifs».
Les débuts du Voyageur
Le Voyageur a été créé il y a 56 ans dans des conditions difficiles, financièrement.
«Le journal a démarré avec zéro dollar, zéro cents. Il a fallu l’appui de nos francophones et de nos paroisses», a dit Émile Guy, le fondateur.
Selon lui «sans cet appui des paroisses, Le Voyageur n’aurait pas vu le jour».
Il a cité la paroisse Saint-Anne-des-Pins par exemple qui a mis à leur disposition des locaux dans son presbytère.
Les écoles et les conseils scolaires ont également aidé à l’époque.
Émile Guy a indiqué que même s’ils n’avaient rien, «c’était tellement important qu’il y ait un journal francophone qui entre dans les foyers».
«Sans cela, quelle information en langue française nous aurions eu?», a-t-il demandé.
«Les gens d’un coin pouvaient parler aux gens d’un autre coin et se raconter leurs histoires», a déclaré M. Guy.
L’avenir du journal
Le propriétaire actuel du Voyageur, Paul Lefebvre, trouve que ce journal a été une voix et un pont au sein de la communauté, mentionnant que, par exemple, le Voyageur était à l’avant-garde lors de la levée du drapeau franco-ontarien.
Pour l’avenir du journal, Paul Lefebvre qui évoque le défi actuel d’imprimerie, déclare qu’il faut être créatif pour le format que le journal va prendre, surtout que le papier tend à disparaitre.
Quant à Julien Cayouette, qui a été le directeur de l’information au Voyageur, il suggère que les lecteurs participent pour que leur hebdomadaire soit efficace dans les années à venir.
«Il faut qu’ils lisent, oui, il faut qu’ils achètent de l’annonce, il faut qu’ils s’abonnent, mais il faut qu’ils l’alimentent, aussi. Il faut qu’ils disent au Voyageur ce qui se passe quelque part dans leur communauté», a-t-il conseillé.
Enfin, Rachel Desaulniers a souligné l’importance de continuer à entretenir la relation entre le lectorat et le journal. «On pense aux jeunes qui sont sur les médias sociaux, délaissent les médias traditionnels, s’anglicisent aussi…», a-t-elle lancé.