Robert Joseph Antoine Campeau est né le 3 aout 1923 à Chelmsford, une petite localité aujourd’hui annexée au Grand Sudbury, dans le Nord de l’Ontario. Alors qu’il a 14 ans, il quitte l’école pour ne plus y revenir. Il n’a pas terminé sa 8e année.
Il travaille dans les mines de l’International Nickel Company (couramment appelée l’INCO). Le jeune Campeau se lasse rapidement de ce travail éreintant et part pour Ottawa, où il occupe différents boulots.
En 1949, il construit sa première maison, qu’il vend à profit. Il ne regardera plus jamais en arrière.
«La maison de vos rêves»
Dès l’année suivante, il en aura construit et vendu une centaine d’autres avec le slogan «la maison de vos rêves».
En 1953, il incorpore sa compagnie sous le nom de Campeau Construction. Dès le début des années 1960, il fonde et acquiert d’autres entreprises, encore dans le domaine de la construction, mais aussi de la finance. Le journal Le Droit, en 1965, le qualifie de «Napoléon de l’industrie de la construction».
Fort de ses succès, Robert Campeau bâtit plus grand et, surtout, plus haut.
Après de premières expériences dans la construction de tours de logements et de bureaux, à Ottawa, il flaire la belle affaire avec la forte croissance de la fonction publique fédérale. Les nouveaux fonctionnaires ont besoin d’espaces à bureau.
Au milieu des années 1960, l’homme d’affaires prend les choses en main et construit Place de Ville, un vaste complexe de trois édifices, dont le troisième demeurera le plus haut immeuble d’Ottawa jusqu’en 2019.
On fait appel à Robert Campeau pour construire – sans appel d’offres – des immeubles de bureaux pour y installer des fonctionnaires à Hull, maintenant Gatineau, sur la rive québécoise de la capitale fédérale.
Rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension fulgurante du Franco-Ontarien. C’est alors qu’il se heurte à son premier mur.
L’interlude Power Corporation
À la suite d’un projet immobilier qui tourne mal, Robert Campeau doit se résigner à céder le contrôle de sa compagnie à une autre société, en l’occurrence Power Corporation, dirigée par un autre important homme d’affaires franco-ontarien, Paul Desmarais.
Campeau encaisse très mal le coup. Il sombre dans une dépression pendant plusieurs mois et ne se présente pas au bureau. Abattu, mais pas battu.
Au début des années 1980, par un coup de maitre dont seul il a le secret, Robert Campeau convainc la Banco di Santo Spirito, soit la banque du Vatican, de lui verser suffisamment de fonds pour racheter la participation de Power Corporation – plus de 27 millions de dollars canadiens. Il est de nouveau seul en selle.
Devenu l’un des principaux acteurs du secteur immobilier à Ottawa, Campeau veut étendre ses ailes à Toronto. Il réalise quelques projets dans la Ville Reine, dont un hôtel et quelques constructions domiciliaires.
En 1980, il tente un coup d’éclat en déposant une offre d’achat pour la plus grande société financière au pays, la Royal Trust, qui a un actif de sept-milliards de dollars. Mais la métropole ontarienne résiste.
L’establishment financier anglophone de Toronto fera tout pour l’empêcher de mettre la main sur ce joyau de la finance canadienne.
Malgré cet échec, le Canadien français persiste à vouloir s’implanter dans la capitale ontarienne. Pour s’y faire accepter, il y déménage même son siège social et emménage dans une vaste demeure comptant 10 chambres, 13 salles de bain, une piscine olympique et une salle de bal pouvant accueillir 300 personnes.
Mais l’homme d’affaires en veut toujours plus.
Avec ses visées de grandeur, la prochaine étape était pour lui tout naturellement les États-Unis.
Cap sur le pays de l’Oncle Sam
Dans un premier temps, Campeau y achète des centres commerciaux. Mais au lieu de tenter de convaincre de grandes marques de s’installer dans ses locaux pour attirer les foules et d’autres plus petits magasins, il décide de les acquérir.
Et il vise haut : rien de moins que Macy’s, la célèbre chaine dont le magasin phare a pignon sur Manhattan depuis le début du XXe siècle.
Macy’s dit non. Mais peu de temps après, Campeau réussit à mettre la main, en 1986, sur le groupe Allied Stores et ses 750 magasins de différentes enseignes. La facture est de 4,4 milliards de dollars US.
Encore une fois, Campeau n’est pas satisfait. Sa prochaine convoitise est la Federated Department Stores, le deuxième plus grand groupe de magasins aux États-Unis après Sears, et dont la marque emblématique est Bloomingdale’s. Cout d’acquisition : près de 7 milliards de dollars américains.
Grâce à cette transaction, Robert Campeau trône sur un empire de près de 12 milliards de dollars américains. Il mène un train de vie extravagant à New York et organise, par l’entremise de sa chaine Bloomingdale’s, des évènements spectaculaires avec des vedettes du cinéma et de la télévision.
Si Toronto a boudé le Franco-Ontarien, New York accepte et célèbre celui, parti de rien, qui a réussi. Le rêve américain incarné.
Le début de la fin
Mais l’inexpérience de Campeau dans l’industrie de la vente au détail se fait ressentir. Bientôt, les finances tournent au mal… puis au désastre. Il se départit de certaines enseignes pour augmenter ses liquidités. Ce n’est pas suffisant. Ses cotes de crédit plongent. Une spirale vers le bas s’enclenche. À la fin des années 1980, rien de va plus.
En janvier 1990, ses deux joyaux, Federated Department Stores et Allied Stores, déclarent faillite. À hauteur de près de 8,8 milliards de dollars américains, il s’agit de la deuxième faillite en importance aux États-Unis à l’époque.
Démoli, Campeau cherche à se faire oublier. Un journaliste de Radio-Canada, Alain Gravel, le retrouvera plusieurs années plus tard en Autriche où, malgré sa déchéance financière, il habite une demeure palatiale valant 12 millions de dollars. Il a près de 75 ans et a toujours des projets, comme un complexe résidentiel en banlieue de Berlin.
Mais il n’y aura pas de renouveau. Le divorce d’avec sa seconde épouse, Ilse Luebbert, au nom de qui il avait placé environ 18 millions de dollars canadiens pour visiblement se protéger de ses créanciers, met le point final sur sa débâcle.
En 2001, il revient au Canada, s’installe incognito à Ottawa où il vit grâce à une pension de 70 000 $ par année que lui verse son ex-femme. Des miettes pour celui qui nageait dans les milliards à peine dix ans auparavant.
Il meurt en 2017 dans la capitale fédérale, dans un quasi-anonymat, à l’âge de 93 ans.