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le Mercredi 20 octobre 2021 19:42 Santé

Femme, francophone et TDAH : un parcours semé d’embuches

Selon un document du CSTC, le TDAH se manifeste différemment selon le genre. — Crédit : Aide_Rosie Sun – Unsplash
Selon un document du CSTC, le TDAH se manifeste différemment selon le genre.
Crédit : Aide_Rosie Sun – Unsplash
Femme, francophone et TDAH : un parcours semé d’embuches
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Qu’est-ce que le TDAH? Comment le diagnostiquer? Pourquoi cette différence entre hommes et femmes qui en sont atteints? Où trouver les ressources, un bon médecin, des services? Ce dernier point trouve déjà peu de réponses au Canada anglophone; dans les communautés francophones minoritaires, le constat est décourageant. Mais les choses tendent à changer doucement. 

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou TDA) est un trouble neurodéveloppemental chronique qui affecte le fonctionnement quotidien de la personne atteinte. Selon un document du Centre de sensibilisation au TDAH Canada (CSTC), près de 1,5 million de Canadiens en sont affectés.

Selon le même document, le TDAH se manifeste différemment selon le genre : «Bien que les femmes puissent présenter les trois symptômes primaires du TDAH (inattention, hyperactivité et impulsivité), leurs symptômes (en particulier d’hyperactivité) se manifestent souvent de manières moins sévères et moins dramatiques (Young et coll., 2020).»

De ce fait, les filles ont l’air plus «rêveuses, désorganisées [et] facilement débordées» plutôt «qu’agaçantes et perturbatrices» comme les garçons atteints de TDAH. Ces derniers aspects étant généralement ceux qui poussent les parents à demander un dépistage, les filles atteintes du trouble passent souvent sous le radar.

«Elles n’ont jamais eu de réponse»

À Toronto, au CSTC, Annie Desrochers a notamment pour mission d’orienter les francophones qui pensent être atteints du TDAH. Elle est la seule à pouvoir le faire, car ses trois autres collègues sont anglophones. 

Plus de la moitié des appels qu’elle reçoit sont des femmes qui ont entre 20 et 60 ans qui réalisent qu’elles ont le TDAH. 

«[Les plus âgées] disent que dans leur jeunesse, elles ont eu des moments où elles se demandaient quel était leur problème, mais elles n’ont jamais eu de réponse», souligne Annie Desrochers. 

Crédit : Courtoisie

Si la spécialiste ne reçoit encore que très peu d’appels en français, c’est que son rôle est méconnu. «Ça commence, notamment grâce aux webinaires qu’on a, où on mentionne que je suis bilingue.»

Même constat du côté de Maude Éloïse Saulnier, psychothérapeute autorisée en qualification : «Le Canada reconnait la langue française, mais il existe, surtout près des régions frontalières comme celle d’Ottawa-Gatineau, des gens qui vont chercher des services hors région et, du coup, vont parler l’anglais au lieu de leur langue première pour avoir accès aux dits services.»

Les services francophones sont également moins publicisés :«Si vous regardez sur le site web Psychology Today, qui déjà à la base est un site anglophone d’affichage de professionnels en santé mentale, on est minoritaires, les francophones [qui sont généralement bilingues]. Dans certaines firmes, il est possible de voir un ratio de quatre thérapeutes bilingues sur 12. Et on est à Ottawa, donc je n’imagine même pas ailleurs.»

Un seul centre francophone pour les femmes au Canada hors Québec

À temps partiel au CSTC, Annie Desrochers a une autre tâche à y réaliser : repérer et lister les services offerts en matière de TDAH, pour les femmes comme pour les hommes, dans les deux langues.

Pour les centres spécialisés en TDAH dont les services sont offerts en français, aux hommes comme aux femmes, Annie Desrochers explique qu’«il y en a peut-être une dizaine en tout; huit au Québec et quelques-uns à Ottawa. Dans le Nord de l’Ontario, il y a quelques agences bilingues, mais à date je n’ai rien vu ailleurs». 

«Quand tu habites [dans une province anglophone], comment peux-tu exprimer en anglais que tu penses avoir le TDAH quand toi-même, tu ne sais pas ce que c’est?» questionne Annie Desrochers.

Lors de son repérage de services spécialisés dans le TDAH, elle a identifié un seul centre francophone spécialisé pour les femmes.

Ce désert médical linguistique, le CSTC l’a repéré depuis longtemps. Mais c’est seulement depuis l’arrivée d’Annie, en mars dernier, que le CSTC a les ressources pour tenter d’y remédier.

Pendant dix ans, la présidente et fondatrice du centre créé en 2006, Heidi Bernhardt, a été seule à le diriger.

Des services médicaux quasi inexistants ou hors de prix

Autre souci que dénonce Annie Desrochers : souvent, les médecins remettent en question le TDAH ou le confondent avec l’anxiété ou la dépression. 

Sachant que trouver un médecin de famille est déjà tout un parcours en soi au pays, les démarches menant jusqu’à un diagnostic peuvent être très longues, rappelle la directrice générale de la Fondation Philippe Laprise au Québec, Isabelle Wolfe. L’organisme se définit comme «la référence pour comprendre et mieux vivre avec le Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) au Québec».

Crédit : Martin Gaudreault

Isabelle Wolfe a été diagnostiquée à 40 ans. Elle a attendu un an avant qu’un médecin ne la reçoive et l’envoie vers un psychologue. Les frais étaient élevés : «J’ai payé près de 1000 $ pour moi et 1000 $ pour ma fille.»

Maude Éloïse Saulnier déplore également que «ça coute cher et c’est le médecin de famille qui a le pouvoir de décider s’il faut de la médication ou s’il faut référer la personne à un psychologue ou un psychiatre». 

En cas de mauvais diagnostic, donc, pas de traitement ou d’accompagnement adéquat.

«Imaginez donc les familles francophones [en milieu minoritaire], monoparentales, venant de milieux défavorisés; oubliez ça. Sans médecin de famille, ils n’auront jamais accès à une évaluation», regrette Maude Éloïse Saulnier.

Manque de formation dans le milieu scolaire

En plus de l’accès à un médecin, l’autre enjeu de taille est la formation de pédagogues scolaires. 

Annie Desrochers peut en témoigner : «J’ai quatre enfants qui ont le TDAH, dont deux filles. Ma fille ainée n’a jamais eu un rapport officiel. Ça fonctionnait bien à l’école, mais rendue à l’université […] elle n’arrivait pas à s’organiser pour respecter les échéanciers. Je reçois beaucoup d’appels [à ce propos].»

Comme le mentionne un document d’étude du CSTC paru en 2017, de nombreux pédagogues «manquent de connaissances sur le TDAH et ses effets néfastes sur les apprentissages des élèves, même s’ils comptent au moins d’un à trois élèves atteints de ce trouble par classe chaque année. Les ministères de l’Éducation, les conseils scolaires et certains ordres d’enseignants ne se tiennent pas à jour sur les travaux de recherche récents portant sur le TDAH et ses répercussions sur les apprentissages».

Au moment où son fils s’est fait diagnostiquer, et sachant que le TDAH est héréditaire, Annie Desrochers a soupçonné son autre fille de l’avoir également. Elle a alors approché son enseignante de 2e année pour réaliser un suivi. 

«Elle a dit que ma fille ne causait pas de problème et qu’elle en avait de bien pires dans sa classe. Une autre dame qui m’a raconté exactement la même histoire», déplore-t-elle.

La raison pour laquelle le TDAH n’est pas vu chez les plus jeunes filles, c’est parce qu’elles ne causent pas nécessairement de trouble en classe, constate Annie Desrochers. 

Or, un manque ou un retard de diagnostic entraine des conséquences terribles. Toujours selon le CSTC, dans un communiqué paru le 28 septembre : «Trois études canadiennes récentes, dirigées par la professeure Esme Fuller-Thompson PhD, directrice de l’Institute for Life Course & Aging de l’Université de Toronto, ont mis en évidence ce besoin urgent d’action. L’étude 2020 a révélé que 24 % des femmes canadiennes atteintes de TDAH avaient fait une tentative de suicide, contre seulement 3 % pour les femmes sans TDAH et 9 % pour les hommes atteints de TDAH.»

«Ma fille s’est fait diagnostiquer à 9 ans. Elle en a 20 aujourd’hui. Je suis sure que ça a changé sa vie», conclut Isabelle Wolf.

Pour aller plus loin :

Le CSTC et la Fondation Philippe Laprise (au Québec) sont deux ressources francophones que les personnes atteintes de TDAH peuvent contacter. 

Maude Éloïse Saulnier recommande les ressources suivantes avec cette mise en garde : «Lorsque l’on recommande un livre, nous-mêmes, les psychothérapeutes, les avons lus. Les personnes ne doivent toutefois pas prendre [ces lectures] pour acquis. Il faut consulter un ou plusieurs professionnels de la santé spécialisés dans le TDAH avant même de considérer changer ses habitudes de vie ou de mettre en pratique des outils.»