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le Lundi 10 juillet 2023 15:48 Santé

Santé mentale : les filles au centre d’un rapport fédéral

L’importance d’offrir des services en français ne figure pas dans le dernier rapport fédéral sur la santé mentale des filles et des jeunes femmes du Canada.  — Photo : Olia Danilevich – Pexels
L’importance d’offrir des services en français ne figure pas dans le dernier rapport fédéral sur la santé mentale des filles et des jeunes femmes du Canada.
Photo : Olia Danilevich – Pexels
Le plus récent rapport du Comité permanent de la condition féminine est clair : il reste encore du travail à faire pour soutenir la santé mentale des filles et des jeunes femmes au Canada. Mais parmi les pistes de solution envisagées, aucune ne mentionne le fait francophone.
Santé mentale : les filles au centre d’un rapport fédéral
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Si le Comité permanent de la condition féminine s’est attardé à la santé mentale de ce groupe de la population, ce n’est pas par hasard. Déjà en 2013, Statistique Canada rapportait que les jeunes âgés de 15 à 24 ans étaient plus susceptibles de développer des troubles de santé mentale que n’importe quelle autre tranche d’âge.

Dans son rapport de mars dernier, le Comité souligne que ces troubles ne se manifestent pas de la même façon selon le sexe.

 Leora Simon est présidente du Conseil national des personnes ayant une expérience vécue. 

Photo : ACSM

Un groupe à risque

«Pour bien des problèmes de santé mentale, comme les troubles alimentaires, la dépression et les troubles anxieux, les filles présentent des taux plus élevés que les garçons, et cet écart s’accentue au fil du temps», peut-on lire dans le document.

Leora Simon est présidente du Conseil national des personnes ayant une expérience vécue, un comité consultatif de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM). Ayant elle-même lutté contre des troubles alimentaires dans sa jeunesse, elle reconnait que «c’est une période très spécifique […] où tu peux vraiment changer la vie [d’une personne]».

Pour les jeunes filles et femmes, le Comité s’est penché sur cinq grands aspects : les troubles alimentaires, les troubles anxieux, la consommation de substances et la toxicomanie, le suicide et les idées suicidaires, ainsi que la santé mentale périnatale.

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Des lacunes dans les services

L’accessibilité aux services en santé mentale reste aussi un enjeu important.

Dans un mémoire présenté au Comité, l’organisme sans but lucratif Les enfants d’abord note que les délais d’attente pour obtenir des services spécialisés dépassent parfois les limites acceptables d’un point de vue clinique. En Ontario par exemple, ces délais peuvent aller jusqu’à deux ans et demi.

Mais pour Leora Simon, l’accessibilité va au-delà de la simple présence de services : «Les jeunes ne sont pas nécessairement à l’aise d’accepter des services à l’hôpital ou au centre médical. On conseille des programmes dans les communautés, particulièrement dans les carrefours jeunesse.»

Peu de traitements adéquats

D’après la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), 1,2 million d’enfants et de jeunes Canadiens ont des troubles de santé mentale suffisamment graves pour perturber leur fonctionnement et leur développement, mais moins de 20 % d’entre eux reçoivent un traitement adéquat.

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S’attaquer à la racine du problème

Le Comité permanent de la condition féminine a formulé 18 recommandations au gouvernement fédéral dans son rapport, telles que soutenir la recherche et la collecte de données, investir dans la prévention et la sensibilisation, mais aussi s’attaquer à des questions sociales.

En ce sens, il recommande notamment de réduire la pauvreté, d’améliorer l’accès au logement, de financer des services communautaires de transition ainsi que d’appuyer la formation à la fois des professionnels et dans les écoles.

Leora Simon se réjouit que le Comité parle de la «racine» de plusieurs problèmes de santé mentale.

«Si tu peux intervenir plus tôt dans la vie, si tu peux fournir du logement abordable, du soutien alimentaire, des choses comme ça, ça peut améliorer la santé des jeunes, souligne-t-elle. C’est une question de prévention et d’intervention précoce. Tu as vraiment la chance de changer la vie de la personne et d’éviter des crises.»

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Le rapport fait aussi ressortir des facteurs influant sur la santé mentale des filles : stéréotypes sexistes, normes sociales, violence sexuelle, internet, médias sociaux, cyberintimidation et pandémie de COVID-19.

Toujours selon le document, les filles sont beaucoup plus susceptibles que les garçons «d’avoir une utilisation plus problématique des médias sociaux», entre autres à cause de l’hypersexualisation. 

«C’est aussi important d’informer les gens sur les effets des réseaux sociaux», commente Leora Simon. Le Comité recommande d’ailleurs que le gouvernement fasse de la sensibilisation aux méfaits en ligne et qu’il légifère pour contrer la cyberintimidation et l’exploitation sexuelle en ligne. 

Et les francophones?

Malgré les 18 recommandations du Comité, aucune ne porte explicitement sur la prestation de services de santé mentale en français.

Nour Enayeh, présidente de l’Alliance des femmes francophones du Canada, est «choquée» que la prestation de services en français dans le domaine de la santé mentale ne soit pas incluse dans le rapport du Comité permanent de la condition féminine.

Photo : Courtoisie

«C’est assez choquant que le français en tant que langue officielle ne soit pas du tout mentionné», déclare la présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), Nour Enayeh.

Une étude universitaire de 2019 sur les barrières linguistiques en santé dans les communautés francophones en situation minoritaire a pourtant déjà montré que l’absence de services dans sa langue peut «nuire aux soins, les retarder ou entrainer un mauvais diagnostic».

«Quand on parle de santé mentale, c’est beaucoup les émotions, remarque Nour Enayeh. Déjà c’est compliqué d’expliquer ses émotions, mais si en plus on ne peut pas le faire dans notre propre langue, c’est très compliqué. Le pire, c’est de comprendre les diagnostics.»

L’incompréhension d’un diagnostic peut en effet mener les patients francophones à commettre des erreurs dans les soins à la maison, confirme l’étude.

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Le Voyageur offre une vue d’ensemble de la francophonie et de la vie dans le Nord-Est de l’Ontario.

L’intersectionnalité de la santé mentale

Le fait d’être francophone n’est pas le seul obstacle à l’obtention de soins et de services d’aide en santé mentale.

Les victimes de marginalisation ou de discrimination, que ce soit en raison de leur identité de genre, de leur situation de handicap ou de leur appartenance ethnique sont aussi souvent négligées.

C’est le cas notamment des jeunes issus des communautés 2ELGBTQI+ pour qui «seulement 20 % des prestataires de services de santé mentale au Canada offrent des services adaptés», selon le rapport du Comité permanent de la condition féminine.

Les peuples autochtones n’échappent pas non plus à la pénurie de services. Pour cette raison, le rapport leur accorde une importance particulière dans presque toutes ses recommandations. Il faut dire que les taux de troubles mentaux et de suicide chez les jeunes autochtones demeurent inquiétants.

Le rapport souligne également qu’il «existe très peu de services pour répondre» aux besoins des femmes immigrantes et réfugiées, qui se retrouvent parfois socialement et linguistiquement isolées.

Pourtant, Nour Enayeh, souligne que «l’accès à des soins de santé en français était la priorité pour [plusieurs] femmes» selon une étude menée par son organisme sur les besoins des femmes immigrantes francophones en situation minoritaire.

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La présidente est d’avis que la langue fait partie de l’intersectionnalité : «On peut avoir des femmes ou des filles qui ont des problèmes de santé mentale, qui en plus sont racisées, en plus sont issues de l’immigration, qui ont des traumatismes reliés à l’immigration, en plus sont francophones […] c’est tout interrelié.»