Le directeur et chef des services d’urgence santé pour le Conseil d’administration des services sociaux du district de Cochrane, Jean Carrière, indique qu’en 2019, les huit casernes réparties sur le grand territoire allant de Timmins à Hearst, une distance de 261 kilomètres, comptaient 110 paramédics.
Ayant encore enregistré deux départs au cours des dernières semaines, le district compte actuellement 82 paramédics pour une population de plus de 76 600 habitants répartis sur un territoire de 141 247 km2, soit légèrement plus petit que l’État du Michigan, aux États-Unis.
Parallèlement, le nombre d’appels d’urgence augmente, selon Jean Carrière, qui évalue le nombre de postes à combler pour répondre convenablement au besoin de la population à 40 paramédics.
La ville de Cochrane, qui compte environ 5300 habitants selon le recensement de 2016, a vu le nombre d’appels d’urgence passer de 600 à 858 entre 2018 et 2022. Ce qui représente une hausse de 43 % des appels.
La ville d’Iroquois Falls, qui compte un peu plus de 4500 habitants, a enregistré 566 appels d’urgence en 2022, en comparaison avec 512 appels en 2018. Ce qui représente une hausse de 11 %.
La ville de Timmins, la plus populeuse du district, avec presque 42 000 habitants, a recensé 6609 appels en 2022, contre 5580 appels en 2018. Une hausse de 18 %.
«Ce déséquilibre, accentué par le manque de relève dans nos effectifs, a créé une hausse dans le volume du travail. Ce qui fait que des paramédics quittent nos rangs notamment pour des raisons de santé mentale. Je ne vais pas dire que nous sommes en situation de crise, mais nous sommes proches», avance M. Carrière.
Au mois d’octobre, deux paramédics affectés au printemps dernier à la station d’Iroquois Falls pour remplacer deux collègues partis en vacances, ont été rappelés à Cochrane pour faire face à la hausse des appels d’urgences nocturnes dans ce secteur. Les statistiques de 2023 ne sont pas encore disponibles, mais pour donner une idée, la station de Cochrane a enregistré 316 appels nocturnes en 2022 contre 184 appels à la station d’Iroquois Falls, selon les précisions de M. Carrière.
S’il considère que cette réaffectation ne va pas avoir un impact sur les temps de réponse à Iroquoi Falls, il y a lieu de souligner que les deux agents qui desservent actuellement la station assurent 12 heures de service par jour en poste. «Mais lorsqu’ils rentrent à la maison, ils prennent avec eux leurs pagettes. S’il y a un appel, ils répondent présents. Nos paramédics font tous les jours des heures supplémentaires», souligne-t-il.
Jean Carrière affirme que les délais d’intervention, après un appel d’urgence, se situent actuellement autour de 17 minutes. «Il y a dix ans, les délais d’attente étaient d’un peu plus de 6 minutes», compare-t-il.
«Le gouvernement fait la sourde oreille»
La députée provinciale de Nickel Belt et porte-parole de l’opposition néodémocrate en matière de santé, France Gélinas, est catégorique : «C’est une situation inacceptable et cela va avoir un impact sur la disponibilité des services.»
Elle affirme que de plus en plus de résidents commencent à se plaindre. «Des gens qui ont partagé leur histoire personnelle disent qu’on leur demande de patienter 40 à 50 minutes, quand ils appellent le numéro d’urgence. Cela devient de plus en plus fréquent et il y a plusieurs autres districts du Nord de l’Ontario qui vivent la même chose», assure-t-elle.
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Mme Gélinas met en cause le gouvernement et avance que «le Conseil d’administration des services sociaux du district de Cochrane n’a pas vu une augmentation de son budget de base depuis plus de 10 ans».
Parallèlement, elle note que «les dépenses, notamment le prix de l’essence, le cout d’entretien des ambulances et des stations d’ambulances, se sont multipliées».
«C’est un problème qui a été souvent rapporté au gouvernement provincial, mais il continue de faire la sourde oreille», dénonce-t-elle.
«Cela fait des années que le district est dans cette situation et les gestionnaires se débrouillent comme ils peuvent. Ils ont des employés extraordinaires, qui font de leur mieux pour pouvoir aider les gens de la région, mais à un moment donné, ils ne peuvent plus.»
Pour parer à la hausse des prix de l’essence, Jean Carrière fait savoir que son service négocie avec des unités d’autres districts pour faire des achats groupés. Ce qui revient moins cher en comparaison avec un chat individuel.
«Nous avons mis en place une stratégie pour épargner de l’argent. Nous nous assurons qu’il n’y ait pas de gaspillage et nous essayons d’utiliser les heures de travail de la manière la plus efficace», dit-il.
«Nous avons droit à l’équité des soins»
La députée France Gélinas estime que les résidents du Nord de l’Ontario ont «droit à l’équité des soins» par rapport à ceux du Sud de la province.
«Cela coute plus cher de financer un service d’ambulanciers au nord qu’au sud de la province. Le gouvernement de l’Ontario doit prendre en considération les spécificités liées notamment au climat et aux grandes distances dans le nord, à savoir qu’il faut parfois mobiliser un hélicoptère pour intervenir», illustre-t-elle.
Hannah Jensen, attachée de presse au cabinet de la vice-première ministre et ministre de la Santé de l’Ontario, Sylvia Jones, indique que «depuis 2018, notre gouvernement a augmenté le budget des soins de santé de près de 18 milliards $, mais nous savons qu’il faut faire plus».
Elle précise que le gouvernement «a également créé 300 nouveaux postes d’ambulanciers paramédicaux dans la province et a augmenté de 5 % cette année la subvention aux services d’ambulances terrestres, qui finance les services d’ambulances terrestres à parts égales avec les municipalités de la province».
Elle ajoute que «si un service paramédical souhaite augmenter son budget, la province sera là pour répondre à sa demande».
France Gélinas ne l’entend pas de cette oreille. Elle rétorque que «le gouvernement provincial a, certes, budgété plus», mais rappelle qu’il y a «une bonne partie de ce budget (18 milliards $) qui n’a jamais été dépensée».
Pour ce qui est de l’augmentation de 5 % des subventions aux services d’ambulances terrestres, elle affirme que cela n’a pas été le cas pour le Nord de l’Ontario.
«Cet argent est allé aux municipalités qui ont leurs propres services d’ambulanciers. Dans le Nord de la province, ce sont les Conseils régionaux qui gèrent les services de paramédics et ils ont reçu zéro augmentation. Nous sommes bien contents que les villes de Toronto, d’Ottawa, de Sudbury ou de London aient reçu des augmentations, mais ce n’est pas le cas des services de paramédics des districts du nord», précise-t-elle.
Pour les 300 postes de paramédics créés par la Province, la députée souligne que «tous n’ont pas été comblés».
Cela risque aussi de ne pas être à l’avantage du district de Cochrane, puisque les paramédics qui sont venus occuper des postes dans le Nord préfèrent, après quelque temps, retourner travailler dans leurs villes d’origine.
«Toutes les autres régions de l’Ontario sont actuellement en position d’engager des paramédics, ce qui crée une concurrence. Les conditions de vie sont meilleures et les salaires sont plus élevés dans le sud de la province, alors nous avons moins de postulants de ce côté-ci. Des paramédics venus du sud sont retournés travailler près de chez eux, comme des postes sont rendus disponibles», explique Jean Carrière.
Investir dans la formation?
Hannah Jensen soutient que des solutions ont été mises en place pour répondre à la pénurie des paramédics.
«Nous avons élargi le programme Learn and Stay Grant (bourse d’études et de séjour), qui permet aux étudiants inscrits à des programmes de formation d’auxiliaires médicaux, d’infirmiers ou de techniciens de laboratoire médical de bénéficier d’une prise en charge totale des frais de scolarité et d’autres frais d’éducation en échange d’une période d’études dans une région insuffisamment desservie», rappelle-t-elle.
La députée France Gélinas salue la démarche et considère que «c’est toujours une bonne chose d’aider les étudiants à aller à l’école». Elle pose, cependant, cette question : est-ce que nous avons suffisamment de programmes dans le Nord pour satisfaire nos besoins?»
Puis, elle souligne qu’«il n’existe pas d’autres programmes de paramédics pour les francophones du Nord, en dehors du Collège Boréal. Tous les autres collèges offrent des programmes exclusivement en anglais. Cela reste donc insuffisant».
En attendant de trouver d’autres solutions, France Gélinas assure que «les citoyens sont prêts à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garder des soins de santé de qualité partout dans le nord de l’Ontario».
«Les gens sont très motivés et prêts à se faire entendre», avertit-elle.