
Linda Pharand a pris son courage à deux mains afin de partager l’agression dont elle a été victime il y a plus de 50 ans. Une démarche qui lui a permis de cheminer dans sa guérison et, espère-t-elle, aider d’autres femmes à faire de même. Le Centre Victoria pour femmes (CVF) l’a appuyé dans sa démarche même si la publication ne fait pas partie de son mandat. Elles ont fait imprimer quelques copies de son récit, Plus forte, pour moi, et ont organisé un lancement le 11 décembre.
La victime se souvient de la date de l’agression : 17 octobre 1970. Ce soir-là, alors qu’elle rentrait chez ses parents dans le Moulin à Fleur après une soirée au Centre des jeunes, elle a été battue puis violée. Abandonnée près du ruisseau Junction, elle sera retrouvée le lendemain matin seulement.
La récupération physique et mentale au fil des ans sont détaillées dans le récit. Elle a eu plusieurs opérations au visage et à la mâchoire. Elle souffre encore aujourd’hui de diverses douleurs physiques.
Le chemin de la guérison
Malgré sa détermination, Linda Pharand a eu besoin de 10 ans pour écrire son texte.
L’attaque a eu des effets presque permanents sur sa vie. «J’avais beaucoup de rage», dit-elle au Voyageur. Elle a été incapable de parler à des hommes pendant longtemps.

Linda Pharand
«En écrivant mon livre, ma colère est partie avec ça. Ça m’a rendue plus forte», dit-elle. Surtout en ce qui concerne la violence envers les femmes, qu’elle aimerait voir disparaitre. «Il faut qu’on en parle, sinon ça nous mange en dedans.»
Son message pour les autres femmes qui ont été victime de violence et de violence sexuelle, c’est «d’ouvrir les portes» pour faire sortir les émotions négatives et laisser entrer ceux et les personnes qui peuvent aider.
Le manque de services pour les femmes dans les premières décennies après l’attaque a beaucoup ralenti sa récupération psychologique, croit-elle. «Jusqu’en 1997, quand j’ai commencé à aller chercher de l’aide en anglais.» Lorsque le Sudbury Sexual Assault Crisis Centre a fermé ses portes, elle s’est retournée vers le Centre Victoria pour femmes.
«Linda savait qu’écrire après avoir subi un traumatisme, c’est une bonne façon de poser un geste concret dans un cheminement vers la guérison, même après 50 ans», explique la directrice générale du CVF, Gaëtane Pharand; qui est aussi la cousine de Linda.
«Elle sait aussi qu’en parlant de son vécu difficile, elle peut donner de l’espoir à d’autres. Son livre, c’est sa façon d’aider, de s’épanouir et de prendre sa place», poursuit la directrice générale.
Les liens familiaux
Plus jeune que sa cousine au moment de l’attaque, Gaëtane Pharand affirme que l’expérience l’a marquée pour toujours. Elle est heureuse d’être là pour appuyer Linda dans son processus de guérison.
Linda Pharand a d’ailleurs remercié ses frères et sœur pendant son discours, soulignant que leur appui lui a permis de passer à travers les nombreuses épreuves.
Pour le lancement du 11 décembre, des frères et des sœurs de Linda Pharand avaient fait la route depuis Montréal. «Je crois que pour Linda, ça lui fait du bien de se sentir appuyée», mentionne Gaëtane.
Son frère Gary, qui demeure maintenant à Montréal, se souvient de cette soirée où toute famille s’inquiétait de l’absence de Linda et de sa découverte le lendemain matin. «Ça a été un choc monumental. Ça a eu des effets sur moi-même et les [frères et sœurs] plus jeunes. Les filles sortaient et avaient toujours peur», raconte-t-il.
Il reconnait aussi que l’absence d’aide pour ce genre de crime à l’époque forçait un peu les gens à «apprendre à vivre avec». «Mais en vieillissant, Linda a eu beaucoup d’appui de la famille. On s’occupait d’elle, on était proche d’elle.»
«Je suis bien content pour elle, parce qu’elle m’en parlait souvent qu’elle voulait écrire», poursuit Gary Pharand.
Linda Pharand n’est pas la seule qui a voulu se raconter. Quinze autres femmes ont écrit des messages d’appui à Linda ou ont raconté leurs propres histoires. Ces textes ont été intégrés au petit recueil.
Le texte de Linda et les autres ont été traduit par Linda Levesque, créant deux versions du recueil qui peuvent être téléchargées gratuitement à l’adresse https://www.centrevictoria.ca/plus-forte-pour-moi/.
En 2013, Linda Pharand a participé à sa première marche Reprenons la nuit et a raconté son histoire aux médias pour la première fois. Le Voyageur l’avait rapporté dans ses pages. Nous reproduisons l’article ci-dessous.
«On est pas des punching–bags»
par Patrick Breton
Linda Pharand a participé à la marche Reprenons la nuit pour la première fois cette année. En plus de marcher en groupe dans la rue pour une première fois, elle a pris son courage à deux mains et raconté son histoire devant les participantes à la marche afin de livrer un message. Elle a aussi un message pour les agresseurs et abuseurs physiques de femmes : «On n’est pas des punching–bags!»
Il y a 43 ans, le 18 octobre 1970, Mme Pharand quittait le Centre des jeunes en soirée pour se rendre à sa maison lorsqu’un qu’un homme lui a passé le bras derrière le cou avant de se mettre à la frapper à coups de poing et de pied, et avec des roches avant de la violer et de la laisser pour morte ou presque. Elle n’avait que 16 ans et c’est une dame qui se rendait à la messe, le lendemain matin, qui l’a trouvée. Elle a eu des dents cassées, la lèvre paralysée et elle a presque perdu son œil gauche. Elle est restée inconsciente pendant 10 jours avant de se réveiller. Malgré les efforts de la police, le coupable n’a jamais été arrêté et justice, pour Mme Pharand, n’a jamais été faite.
En entrevue avec Le Voyageur, elle a tenu à signaler à son agresseur qu’elle est toujours vivante et forte. Elle demande un raffermissement de la loi concernant les abus et la violence envers les femmes et une augmentation des pensions offertes aux victimes. Elle souhaite aussi que l’on reconnaisse mieux les traumatismes vécus par les femmes victimes de violence.
Elle a également profité de l’occasion pour encourager les femmes à parler de ce sujet dont on n’aime pas entendre parler et pour les inciter à la prudence. «J’avais 16 ans et jamais je n’aurais cru que quelque chose comme ça aurait pu m’arriver, dit-elle. Des gens ne veulent toujours pas entendre que ça existe, ils ne veulent pas en parler. Mais il faut le faire.»
Guérir en prenant la parole
Lorsqu’elle a eu un ordinateur il y a quelques années, la première chose que Mme Pharand a faite a été d’écrire son histoire. Dès que cela a été fait, elle a ressenti un soulagement énorme. Elle a ensuite été chercher conseil auprès d’organismes d’appui pour finalement consulter le Centre Victoria pour femmes. Lorsqu’on lui a demandé de prendre la parole cette année à l’occasion de la marche Reprenons la nuit, elle a accepté. «Si je ne parle pas, les choses ne changeront pas. Là, j’ouvre les portes. Je le dis et il faut en parler. Et si ça vous arrive ou que cela vous est arrivé, allez chercher de l’aide et des conseils auprès du Centre Victoria», conclut-elle.