Dans une sortie récente animée de désespoir plutôt que d’optimisme, le recteur et vice-chancelier de la Laurentian University (LU), Robert Haché, élabore sur les raisons pour lesquelles LU ne peut pas perdre ses programmes en français.
Il base son argument sur l’idée que la population étudiante francophone désire avant tout étudier dans un environnement bilingue. Selon lui, si LU perdait sa programmation de langue française, les jeunes quitteraient le Nord.
Mettons de côté pour l’instant que cet exode des jeunes étudiant.e.s s’est amorcé avec l’élimination de 28 programmes de langue française par l’administration Haché en avril dernier. Faisons aussi abstraction du cynisme du recteur qui ose s’approprier les principes du «par et pour» préconisés par les francophones.
Parlons plutôt de son argument central qui dit que la priorité devrait être de servir la population étudiante francophone qui, selon M. Haché, aurait majoritairement exprimé le désir de poursuivre ses études dans un milieu bilingue et triculturel. On aurait raison de croire qu’après avoir dépensé des millions de dollars sur des avocats et des experts-conseils, M. Haché serait armé d’une étude approfondie et empirique pour appuyer son interprétation de ce que veulent les étudiants. Surtout venant d’un recteur d’université, on devrait s’attendre à un peu de rigueur dans la méthode.
Malheureusement, tout ce qu’il peut nous offrir, c’est le résultat partiel d’un sondage bien intentionné, mais sans valeur scientifique, mené par l’Association des étudiantes et des étudiants francophones (AEF) au mois de mai 2021 (taux de participation de 10 %). Soulignons que ce sondage révèle aussi que 82 % des répondants se rallient à l’idée de la création d’une université francophone à Sudbury qui travaillerait en partenariat avec d’autres universités, dont Laurentian U., par rapport aux 69 % qui préfèreraient une université bilingue. M. Haché ne mentionne rien de tout ça. Son argument n’est ni sérieux ni professionnel. C’est même plutôt gênant.
S’il est possible que les jeunes francophones désirent étudier dans un environnement bilingue, ce n’est pas LU qui est en mesure de le leur offrir. Elle ne l’a jamais été. Comme le dit de façon convaincante le professeur François Charbonneau de l’Université d’Ottawa, «… le bilinguisme institutionnel n’est possible que là où tout le monde est bilingue, sinon, les choses se passent dans la langue de l’unilingue». En réalité, il n’y a qu’un endroit où il est possible pour les jeunes d’étudier dans un milieu bilingue, soit dans une institution de langue française. La raison de cette dichotomie apparente est évidente : les jeunes francophones sont souvent bilingues. Il est normal d’entendre le français et l’anglais parlés dans les couloirs de nos écoles secondaires ou de nos collèges communautaires, notamment en raison des taux d’exogamie dans nos communautés.
Nous sommes cependant d’accord avec M. Haché qu’il faut apprendre du passé. Ce passé nous le dit très clairement : c’est lorsque les francophones obtiennent la gestion de leurs institutions qu’ils les établissent à leur image et selon leurs besoins. C’est ce qui est arrivé avec nos écoles secondaires et c’est la raison principale du succès du Collège Boréal. Rappelons que ce collège est issu de l’échec de Cambrian College qui opérait comme le fait LU et comme l’envisage toujours M. Haché.
Alors, oui, apprenons de l’histoire et bâtissons une université qui ressemble à la francophonie. Ce sera un pôle d’attraction pour nos jeunes, comme l’ont été les autres institutions.
Enfin, à moins que LU ait utilisé de façon inappropriée les fonds fédéraux pour l’enseignement en langue minoritaire pour financer ses opérations et l’enseignement en langue anglaise, l’argument que LU ne peut pas survivre sans sa cohorte francophone ne tient pas la route. Et, l’Université de Sudbury sera là pour offrir des cours de français aux étudiants de la Laurentian qui le désireraient. Par ailleurs, Kenjgewin Teg, institution opérant par, pour et avec les autochtones, sera aussi là pour offrir aux étudiants un enseignement mieux adapté aux cultures et aux savoirs autochtones.
Regardons donc cet avenir, comme le dit M. Haché. Pour nous, il en est un où trois universités (une de langue anglaise, une de langue française et une vouée aux peuples autochtones) existent côte à côte, partagent certaines ressources selon des partenariats établis sur des principes d’égalité et de respect mutuel. C’est l’approche que l’Université de Sudbury a proposée à M. Haché. Il l’a refusée.
Oui, nous sommes à la croisée des chemins, mais la route à suivre est bien tracée.