En moins de 15 minutes, le jeudi 14 aout 2003, plus de 55 millions d’Américains et de Canadiens ont été privés d’électricité.
En Ontario, le courant a été rétabli à peu près partout en moins de deux jours, mais à certains endroits, il a fallu attendre une semaine pour un retour à la normale. Aux États-Unis, le courant n’est pas revenu avant quatre jours dans plusieurs secteurs.
Ce jour-là, le mercure dépassait 30°C à plusieurs endroits. La forte demande en électricité en raison de l’utilisation des climatiseurs n’a pas été étrangère aux problèmes qui ont causé cette grande interruption du courant.
La panne a mis au jour plusieurs lacunes dans la structure et la gestion de la distribution de l’électricité, particulièrement aux États-Unis, où le bris a pris naissance.
«Globalement, ça a montré que les défaillances majeures pouvaient avoir des impacts non seulement aux États-Unis, mais aussi chez les voisins», explique le professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa, Jean-Thomas Bernard.
Comme le réseau électrique ontarien est interconnecté avec certains États américains, le courant circule dans les deux sens, selon les besoins des uns et des autres.
Les prémices
Si la panne comme telle a débuté peu après 16 h (HAE), les incidents déclencheurs sont survenus quelques heures plus tôt.
Tout a commencé à 12 h 15 avec une panne de données sur le réseau de transport d’électricité dans la région de Cleveland, en Ohio. Un peu plus d’une heure plus tard, une défaillance provoque une perte de 600 mégawatts à la centrale d’Eastlake, en banlieue de Cleveland.
D’autres pannes informatiques se produisent au cours de l’après-midi. Le problème : les exploitants du système ne s’en rendent pas compte, en raison même des défaillances des programmes informatiques. Ce n’est que vers 15 h 45 que les responsables réalisent que le réseau est menacé. Mais il est trop tard.
Effet domino
Vers 16 h 10, une poussée de courant provoque une surcharge sur certaines lignes de haute transmission, qui deviennent inopérantes. Mais le courant, lui, ne s’arrête pas; il cherche d’autres lignes où circuler. Celles-ci sont de moindre capacité et flanchent à leur tour.
Très rapidement, les incidents se répandent en cascade en Ontario, de Toronto à Windsor, et dans les États environnants : Michigan, Pennsylvanie, New York, New Jersey, Vermont, Connecticut et Massachusetts.
Quelques minutes plus tard, 508 génératrices dans 265 centrales dans les deux pays sont mises à l’arrêt, privant les usagers des 61 800 mégawatts d’électricité qui auraient normalement dû circuler dans la région.
Presque instantanément, 55 millions de personnes n’ont plus de courant, dont 10 millions de ce côté-ci de la frontière.
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La panne en Ontario
Pratiquement tout l’est de la province de l’Ontario est frappé, soit la partie à l’est de Wawa, incluant les villes de Sudbury, d’Ottawa, de Toronto, de Kitchener, de London et de Windsor.
Exceptions notables, la région de Cornwall, alimentée par le Québec, et celle de Niagara, qui a pu isoler son réseau hydroélectrique des systèmes voisins, sont épargnées.
Plus de courant, plus d’air climatisé, plus d’ordinateur, plus de feux de circulation. Faute de policiers en nombre suffisant, des civils vont eux-mêmes s’en occuper.
À Toronto, le métro cesse de fonctionner. Les usagers restés coincés doivent marcher dans les tunnels pour sortir. Les plus malchanceux sont celles et ceux qui se retrouvent dans un ascenseur.
«Comme si le temps s’était arrêté»
Journaliste culturelle à Radio-Canada Acadie, Anne-Marie Parenteau — qui avait vécu la crise du verglas au Québec en 1998 — travaillait à la station de Toronto cette année-là. Elle se rappelle que pendant la panne, elle devait marcher plus d’une heure pour se rendre au boulot.
«Il y avait un peu comme un sentiment de fin du monde je dirais. Pas d’électricité dans la plus grande ville du Canada, pas de transports en commun, de tramway, pas de taxis disponibles! Comme si le temps s’était arrêté.»
Caroline Bourdua était à l’époque animatrice à Radio-Canada, basée à Sudbury. Elle se trouvait en réunion à Toronto quand on lui a demandé d’animer quelques heures d’une émission radio spéciale consacrée à la panne.
Elle se souvient de l’étrangeté de la situation au centre-ville : «Quand j’ai marché à mon hôtel, c’était tellement hallucinant, parce qu’il n’y avait rien. Pas un bruit. Il y avait des gens sur la rue qui marchaient, les tramways étaient tous arrêtés, les chauffeurs demeuraient dans leurs tramways jusqu’à ce que quelqu’un passe ramasser la cagnotte.»
À l’arrivée dans sa chambre d’hôtel, au 9e étage, l’absence de pollution sonore était impressionnante. «Je pouvais entendre les gens marcher et parler sur le trottoir, tellement c’était silencieux partout. C’était vraiment fou.»
Les leçons à tirer du «blackout»
À l’époque, les gens de l’industrie savaient qu’avec l’arrivée d’un grand libre marché de l’électricité quelques années auparavant, les investissements avaient été insuffisants pour faire face à une demande grandissante.
Il existait bien une autorité nord-américaine du réseau de transmission, le North American Electric Reliability Corporation (NERC), créée après la grande panne de 1965 qui avait touché à peu près la même région dans le nord-est de l’Amérique du Nord, mais elle ne pouvait obliger les exploitants du réseau de se conformer à ses normes.
Afin d’éviter qu’une telle mégapanne ne se reproduise, le Canada et les États-Unis ont créé un groupe de travail. Son rapport remis en avril 2004 contient 46 recommandations dont celle de rendre obligatoires les normes de la NERC.
Au Canada, bien que les provinces soient responsables de ces normes, celles du NERC sont maintenant obligatoires ou sont en voie de l’être presque partout au pays.
Même si elle n’a duré que quelques jours, la perte de courant a eu des conséquences économiques importantes.
Le produit intérieur brut (PIB) du Canada a chuté de 0,7 % en aout 2003. Près de 19 millions d’heures de travail ont été perdues et la valeur des livraisons de biens manufacturés a diminué de 2,3 milliards $ en Ontario sur la période.