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le Lundi 6 février 2023 1:49 Société

«S’ils sont chanceux, ils arrivent avec une valise ou deux.»

Lors d’une activité de patinage organisée par les Services d’établissement, des familles de Kapuskasing se sont rendues à Hearst, où une seule famille ukrainienne était installée. Les enfants ont parlé ukrainien avec d’autres enfants. «Ils se sont tenus ensemble toute la soirée», rapporte Isabelle Chouinard-Roy. — Photo : Marie Rose Kane
Lors d’une activité de patinage organisée par les Services d’établissement, des familles de Kapuskasing se sont rendues à Hearst, où une seule famille ukrainienne était installée. Les enfants ont parlé ukrainien avec d’autres enfants. «Ils se sont tenus ensemble toute la soirée», rapporte Isabelle Chouinard-Roy.
Photo : Marie Rose Kane
Kapuskasing et Hearst — L’accueil que réservaient certaines familles de Kapuskasing à des enfants de Tchernobyl, chaque été, a marqué Adam Coghill. «Il a gardé le contact avec plusieurs d’entre eux», raconte aujourd’hui sa femme Jennifer. Quand la guerre en Ukraine a éclaté, le couple s’est inquiété. Ils ont décidé, à leur tour, de venir en aide à des familles d’outremer.
«S’ils sont chanceux, ils arrivent avec une valise ou deux.»
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«Il y a tellement de familles qui arrivent dans la région, maintenant», remarque Jennifer Coghill, qui s’est engagée dans l’accueil de familles ukrainiennes. Depuis près d’un an, elle a participé à l’accueil de sept de quelque dix familles ukrainiennes qui s’installent dans le corridor de la route 11.

Ces familles ne sont pas seules à diversifier la mosaïque culturelle du corridor du Nord. Le district de Cochrane a connu une hausse importante en immigration. Une variable des recensements de 2011 et de 2021 l’illustre bien : le nombre de personnes qui parlent le plus souvent une langue non officielle (autre qu’une langue autochtone) à la maison. Dans les dix dernières années, ce nombre a plus que doublé, passant de 555 à 1325.

Depuis avril 2020, les Services d’établissement du Nord-Est de l’Ontario offrent des services directs et indirects aux nouveaux arrivants pour appuyer cette croissance. L’équipe aide aujourd’hui 11 familles de Hearst à Opasatika et 18 à Kapuskasing et Val Rita-Harty.

Des communautés qui s’ajustent

«Il y a beaucoup plus d’arrivées, et en grands groupes, surtout avec les étudiants internationaux», souligne le cogestionnaire de programme aux Services d’établissement, Anthony Miron. «Des fois, ça déstabilise les fournisseurs de services ou les propriétaires de logement, mais je pense qu’on a trouvé un équilibre.»

L’année dernière, il a constaté qu’il devait faire beaucoup de gymnastique pour trouver des logements aux nouveaux venus. «Il faut encore en faire, mais ça va mieux, dit-il. Il y a de la générosité : des propriétaires disent “oui, on veut vraiment aider”.»

À l’enjeu de l’accès s’ajoute celui de l’accessibilité : les familles doivent trouver des logements abordables, précise Jennifer Coghill. Elle a été témoin d’une famille qui devait faire son marché, assumer les frais de transport et se payer un téléphone avec 600 $ en poche. «Souvent, ils parlent à peine l’anglais, alors ils n’obtiennent pas un emploi dans leur domaine, où ils devraient toucher un bon salaire. Ils prennent l’emploi qu’ils peuvent pour avoir un revenu.» 

Au-delà du logement 

Un défi s’ajoute : celui d’établir un foyer à partir de zéro. Les familles, en particulier les familles ukrainiennes, arrivent avec leur vie entière dans très peu de bagages», a remarqué Mme Coghill. «S’ils sont chanceux, ils arrivent avec une valise ou deux. Ils n’arrivent avec RIEN», insiste-t-elle.

À leur arrivée, ils ont souvent besoin de vêtements d’hiver et, lorsqu’ils se trouvent un logement, tout est à faire. «Ils ont besoin de tapis, de brosse à récurer pour les toilettes, d’un support pour les brosses à dents, illustre Jennifer Coghill. En leur fournissant ces articles, ils peuvent dépenser leur argent pour des choses dont ils ont vraiment besoin.»

Il faut continuer à répondre aux appels à l’aide qu’on lance sur Facebook quand on a besoin de meubles, d’articles pour bébés, les liker ou les partager.

— Isabelle Chouinard-Roy, cogestionnaire des Services d’établissement du Nord-Est de l’Ontario

Souper traditionnel de Noël avec les membres du club Rotary de Kapuskasing. Les familles de Hearst se sont déplacées pour l’occasion. Le groupe a ensuite participé au festival des lumières.

Photo : Marie Rose Kane

Règle générale, les services et les bénévoles d’accueil lancent des appels à la communauté et la réponse est positive. Certaines familles font de grands ménages et remettent leur trop-plein aux nouveaux venus. Des organismes locaux comme le Spin vert et le Comptoir Gamelin à Hearst, le Centre Connexion et le Hey Day à Kapuskasing aident à fournir des meubles, des électroménagers, des ustensiles, de la vaisselle et des vêtements aux nouveaux venus. D’autres organismes organisent des collectes de manteaux.

Cependant, l’aide doit continuer d’affluer pour la relève des Services d’établissements et Jennifer Coghill. 

Au-delà du matériel

Les enfants de Tchernobyl qu’Adam Coghill a côtoyé dans les années 1980 et 1990 sont aujourd’hui au Bélarus. Aucun d’entre eux n’a donc eu à venir s’établir au Canada pour fuir la guerre. Mais aujourd’hui, une communauté, comme il a connu enfant, se dessine.

Les nouveaux venus ont besoin d’appui pour meubler leur foyer, mais aussi pour meubler leur quotidien — pour leur intégration dans la communauté. 

«Une fois qu’ils sont dans notre communauté, on veut vraiment qu’ils restent. On travaille vraiment fort pour qu’ils aient un sentiment d’appartenance de la communauté», relève une des deux agentes d’établissement des Services d’établissement du Nord-Est, Lina Caron.

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Le Voyageur offre une vue d’ensemble de la francophonie et de la vie dans le Nord-Est de l’Ontario.

Les services d’accueil misent sur la communauté locale pour contribuer à retenir les nouveaux arrivants dans le Nord-Est ontarien. «Il faut aller vers eux. Connaitre l’humain», plaide Isabelle Chouinard-Roy, gestionnaire des Services d’établissement du Nord-Est de l’Ontario, actif dans la région de Hearst à Smooth Rock Falls.

Les soirées de patinage suffisent-elles?

Selon une étude de l’Institut des politiques du Nord parue en décembre, «le manque d’interaction sociale avec les autres résidents» constitue le défi le plus important exprimé par les répondants. 

Isabelle Chouinard-Roy cite le cas d’une mère nouvellement installée : «Au début, elle trouvait ça long. Chez elle, les portes étaient ouvertes, les gens venaient prendre un café, amenaient les enfants.»

Des activités d’intégration

Les Services d’établissements, entre autres organisations, planifient des activités comme des soirées de patinage, des journées d’initiation au ski à l’intention de leur clientèle. Le but est de créer un sentiment d’appartenance «entre eux et avec d’autres personnes de la communauté», assure-t-elle Isabelle Chouinard-Roy. 

Elle espère aussi que des concitoyens tendent la main à leurs nouveaux voisins.

Son collègue Anthony Miron a été témoin de quelques initiatives personnelles. «Souvent, ça part du travail, d’un collègue ou de l’employeur qui pose des petits gestes», dit-il. Par exemple, un amateur de motoneige qui offre une petite tournée à son nouveau collègue et à sa famille.  

Aux Services, une des agentes d’intégration a passé l’Halloween avec deux enfants qui ne connaissaient pas la tradition. Elle leur a trouvé un déguisement et les a accompagnés pour le porte-à-porte. «Au début, les parents n’étaient pas certains : aller cogner chez les gens, demander des bonbons à des étrangers», commente en souriant Anthony Miron.

Des bénévoles ont trouvé des costumes de did moroz et snihuronʹka et ont surpris les familles ukrainiennes, la veille du jour de l’An.

Photo : Jennifer Coghill

Tisser des liens 

Pour Jennifer Coghill, une Kapuskoise qui a participé à l’accueil de sept familles ukrainiennes, il est aussi essentiel d’assurer que les nouveaux venus puissent aussi vivre leurs traditions. 

Dans cette optique, des membres de la communauté ont profité de la veille du jour de l’An pour personnifier deux personnages folkloriques, la fée des neiges et un père Noël (дід мороз et снігуронька ou did moroz et snihuronʹka). Ainsi costumés, ils ont livré des cadeaux et des bonbons traditionnels aux huit enfants ukrainiens à Kapuskasing. La surprise a été totale et bienvenue.

La bienfaitrice aimerait que les choses aillent plus loin et que se forme un club ukrainien, comme elle en voyait quand elle était enfant, à Oshawa. Même si ces familles proviennent toutes de différentes régions de l’Ukraine, «[elles] pourraient se rassembler, célébrer, vivre et faire vivre leurs traditions. C’est bien de voir ses amitiés se nouer et de les voir créer quelque chose de positif de la situation», témoigne-t-elle. 

Le travail avant l’appartenance

Malgré les initiatives lancées localement, il ne semble pas que le facteur social soit le premier pour assurer la rétention des nouveaux arrivants. Selon l’étude de l’Institut des politiques du Nord, 63 % des immigrants francophones qui ont quitté leur communauté d’accueil y connaissaient pourtant un sentiment d’appartenance positif ou très positif. 

En fait, 36 % des immigrants parlant français qui ont choisi de la quitter pour trouver un meilleur emploi ou 32 % pour poursuivre leurs études.

Qu’à cela ne tienne : les services et les bénévoles tiennent à ce sentiment d’appartenance et d’intégration, en espérant qu’il fasse la différence.