Ce dernier s’en prend au réseau national depuis des années et promet de couper son financement public s’il est élu. Par contre, il promet aussi de ne pas couper Radio-Canada. Voilà comment un politicien arrive à se tirer dans le pied.
Mais revenons au label «Government-funded Media». D’abord, soyons clairs, c’est un mensonge. Remarquez que ce n’est pas la première menterie sur Twitter. C’est faux parce que ce n’est pas le gouvernement qui décide du financement de CBC/Radio-Canada, mais c’est le Parlement. Ce qui veut dire que tous les partis politiques prennent cette décision.
En demandant à Twitter d’inclure «Government-funded Media» sur les comptes de la CBC, Pierre Poilièvre sous-entend que la CBC est inféodée aux libéraux. Il le dit d’ailleurs clairement dans un tweet du parti conservateur : «Maintenant les gens savent que c’est de la propagande Trudeau, pas des nouvelles.»
La CBC n’est pas la première cible de cette nouvelle étiquette de Twitter. Le réseau américain National Public Radio (NPR) a quitté le réseau social après qu’il ait été identifié de façon similaire. D’ailleurs, lundi après-midi, CBC/Radio-Canada a annoncé qu’ils cesseront pour l’instant de publier des messages sur Twitter.
Pour le propriétaire de Twitter et les complotistes, ces termes veulent dire une chose : ces médias font de la propagande pour leur gouvernement — un autre mensonge.
Pour avoir œuvré pendant 20 ans en tant que journaliste à Radio-Canada et à la CBC, je peux affirmer n’avoir jamais subi de pressions politiques de la part d’un gouvernement. Ni des libéraux ni des conservateurs. Certains de mes reportages n’ont pourtant pas toujours été tendres envers des décisions gouvernementales.
Le problème c’est que M. Poilièvre sait très bien qu’il y a une grande différence entre financement public et financement gouvernemental. Il sait probablement aussi que la Loi sur la Radiodiffusion protège l’indépendance éditoriale de CBC/Radio-Canada. Twitter le sait aussi puisque, à la suite des questionnements de la CBC, le réseau social a changé la mention à «publicly funded media» (média financé par des fonds publics).
M. Poilièvre ne fait que copier les idées répugnantes du menteur en chef; Donald Trump. Discréditer les médias traditionnels pour semer confusion et désinformation.
Toute cette histoire serait risible n’était-ce du fait qu’elle démontre la faiblesse stratégique de Poilièvre. Obnubilé par son idéologie et voulant plaire à ses adeptes complotistes, le leadeur conservateur ne semble pas voir le piège dans lequel il est tombé.
Le piège, c’est qu’il y a plusieurs conservateurs qui écoutent, regardent, lisent et se fient sur la CBC. Ils ne seront pas heureux. Deuxièmement, imaginez les électeurs conservateurs de l’Alberta ou de la Saskatchewan, la base de Poilièvre, qui comprennent tout à coup qu’ils doivent maintenant payer pour un réseau de langue française, mais pas pour un réseau anglais. Ayoye. Ça ne passera pas.
Si, devant cette possible levée de boucliers dans l’Ouest, M. Poilièvre décidait de couper les deux réseaux, CBC et Radio-Canada, imaginez la réaction au Québec. Disons qu’il ne ferait pas bon être la dizaine de députés conservateurs québécois.
Pierre Poilièvre pourrait aussi faire comme de nombreux politiciens qui font des promesses électorales, mais ne les réalisent jamais une fois élus. Il pourrait ne pas couper les vivres à nos réseaux publics. Le problème avec ça, c’est que ses adeptes sont pas mal plus rigides que la plupart des sympathisants politiques. Ils ne le lui pardonneraient jamais. Adieu un deuxième mandat.
Voilà comment un homme qui n’a fait que de la politique idéologique crée son propre piège.