le Lundi 17 février 2025
le Mercredi 30 août 2023 11:00 Éditorial

«Vote-Rage»

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Éditorial — Voilà un nouveau mot anglais pour lequel les linguistes et journalistes n’ont pas encore proposé de traduction française. Pour les bienfaits de la cause, nous l’appellerons le «vote-enragé». Parce qu’il faut en parler. Parce que de plus en plus d’électeurs ne sont motivés que par la colère, une espèce de rage anti-tout. Surtout antiautorité.
«Vote-Rage»
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Il faut en parler parce que certains politiciens s’adonnent maintenant à ce qu’on appelle «rage-farming», c’est-à-dire qu’ils mettent de l’engrais — certains diront du fumier — sur cette colère latente. Ces politiciens sont dangereux.

Le phénomène existe partout dans le monde, mais Donald Trump en est l’exemple parfait. Souvenons-nous de ses premières paroles lorsqu’il a annoncé sa candidature en 2015 en descendant l’escalier de son immeuble new-yorkais. Ses premiers mots étaient : «Notre pays a de sérieuses difficultés», suivis d’un discours anti-immigration dans lequel il accusait le Mexique d’envoyer des violeurs et des vendeurs de drogue aux États-Unis. Et, bien sûr, il affirmait être le seul à pouvoir changer ça.

Huit ans plus tard, on a vu ce qu’il a fait en tant que président. M. Trump fait maintenant face à de sérieuses accusations criminelles, mais la pire chose qu’il a faite aura été de tuer l’espoir en l’avenir de millions d’Américains. Il a tellement divisé le pays que certains croient que ça prendra des décennies pour que l’ancêtre des démocraties retrouve sa grandeur.

On peut voir ce phénomène de «rage-farming» ailleurs dans le monde. Plusieurs dictateurs en Afrique, en Asie et même en Europe — allô Victor Orban — créent cette colère en attisant la haine contre des groupes minoritaires, comme les homosexuels ou les immigrants. On le voit même au Canada ou le leadeur conservateur, Pierre Poilièvre, passe son temps à dire que le pays est brisé.

C’est ce qu’il a fait lors de sa tournée dans le Nord de l’Ontario au milieu de l’été. M. Poilièvre vise des circonscriptions qui votent traditionnellement pour le Nouveau Parti démocratique, un vote souvent anti-establishment. À Timmins, son discours, plus vitriolique que ceux des députés néodémocrates, semblent mobiliser plusieurs de ces électeurs. 

Dans un article paru cette semaine dans le Toronto Star, le député du NPD de Timmins-Baie James, Charlie Angus, avouait qu’il n’a jamais vu des groupes d’électeurs autant en colère. Selon lui, ces gens sont complètement déconnectés de la politique et se rejoignent sur les réseaux sociaux où ils trouvent un exutoire à leur rage.

Il faut dire que nos gouvernements ne font pas grand-chose pour éteindre cette rage. Si plusieurs citoyens sont en colère, c’est souvent parce qu’ils ont peur. Ils vivent dans des villes aux prises avec des crises — crise du logement, crise des opioïdes, crise financière, crise climatique, criminalité… L’amoncèlement de ces crises se résument chez l’électeur à une crise de confiance.

Pour redonner confiance aux citoyens, nos politiciens doivent s’attaquer sérieusement à ces crises. Or, au lendemain d’une retraite pour notamment discuter de la crise du logement, les ministres n’avaient que des platitudes à offrir. En Ontario, la solution du gouvernement de Doug Ford n’est que d’écouter les donateurs du Parti conservateur et de leur donner accès à la ceinture de verdure pour construire de grosses maisons.

On comprend la rage des électeurs, mais ce n’est pas en la nourrissant qu’on construit un pays.