En Algérie, dans les années 1970-1980, de jeunes activistes et universitaires pour la plupart issues de la Kabylie, avaient bravé le pouvoir militaire en place, la police politique et le parti unique qui ont voulu, dès l’indépendance en 1962, imprimé au pays une idéologie arabo-islamique, au mépris d’une identité berbère plusieurs fois millénaire. Le drapeau identitaire et les revues culturelles étaient cachés sous les manteaux et ceux qui se rendaient coupables de parler leur langue maternelle dans la rue se faisaient embarquer par la police.
Cette répression culturelle et identitaire a fini par déclencher un soulèvement populaire appelé le Printemps Berbère. Cela est advenu le 20 avril 1980, au lendemain de l’interdiction par le gouvernement d’une conférence sur la poésie berbère à l’Université de Tizi-Ouzou, en Kabylie, qui devait être animée par l’éminent écrivain et linguiste Mouloud Mammeri. 24 militants et activistes de la cause berbères furent emprisonnés dans l’une des pires des prisons algériennes, la prison de Berrouaghia, dont le docteur en médecine, spécialiste en psychiatrie, Said Sadi, et l’artiste et chanteur engagé Ferhat Imazighen Imula.
Un peu plus de vingt ans plus tard, soit en avril 2001, des centaines de milliers de jeunes kabyles sont descendus dans la rue pour réitérer les mêmes revendications culturelles et identitaires. Bilan : 126 morts et 5000 blessés. Les gendarmes avaient tiré à bout portant sur la foule. Cet évènement sinistre est appelé communément le Printemps Noir. Pour calmer les esprits, le pouvoir en place a reconnu la langue berbère,Tamazight, comme langue nationale.
Avec l’avènement du Printemps Arabe à partir de 2010-2011, entrainant la chute des régimes de Mouammar Kadhafi en Libye, Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Égypte, le pouvoir d’Alger, jouant la carte de l’apaisement, a fini par lâcher du lest. En 2016, Tamazight est reconnue comme langue «officielle» à la faveur d’une révision de la Constitution, la loi fondamentale du pays.
Cela n’a pas empêché la chute, en 2019, de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, depuis 20 ans alors au pouvoir. Une révolution populaire pacifique a forcé le défunt président à renoncer à son projet de cinquième mandat. Le drapeau identitaire berbère flottait côte à côte avec le drapeau national algérien dans les démonstrations populaires de rue, sans la moindre friction entre les manifestants.
Cette belle image de réconciliation entre le pays et son identité culturelle a fini par agacer. Les forces de l’ombre se sont mises à conspirer. Un clan au pouvoir, particulièrement hostile à la cause berbère, a fini par forcer la main aux appareils sécuritaires. Une chasse au drapeau berbère s’en est suivie et des dizaines de jeunes militants ont été arrêtés et jetés en prison, au motif de porter atteinte à l’unité nationale. Plusieurs d’entre eux croupissent aujourd’hui encore en prison. Des voix se sont élevées, entre temps, pour retirer à Tamazight son statut officiel dans la Constitution. Pour dire qu’un droit, ça s’arrache, les berbères, qui ont dû lutter pour le maintien de leur culture, de l’occupation romaine à la colonisation française, ont imagé cette leçon de l’histoire par le dicton : la faim ne donne pas à manger.